« Vive la haine »
Ce sont deux heures trente de délectation que nous offre ce Conte de Noël de Desplechin, un film qui mord comme un chien, ou même comme un loup, aux propos tout à fait inrrévérencieux mais qui font un bien fou, aux limites qui viennent exploser un univers familial fascinant. Un univers terriblement pesant qui vous arrive comme une bouffée d'oxygène.
Un effet Festen, des dialogues jubilatoires entre une mère et un fils : « Je ne t'ai jamais aimé. – Moi non plus ! » qui vont de transmission en contagion au sein de la fratrie : « Je me réjouis de ta déchéance. »
D'abord, il y a le sage Abel et la perfide Junon, le père et la mère, dont la vie tient à une greffe de moelle, avec les risques que cela comporte aussi pour le donneur. Des risques de chance de survie cliniquement calculés, sur le mode de l'intégrale, par Abel.
Les tests écartent l'aînée Elisabeth et le benjamin Yvan, mais déclarent Paul, le petit-fils de Junon et Henri, le fère banni voici cinq ans, comme compatibles. Elisabeth aura beau se battre pour que ce don soit enfin un combat que son fils Paul pourrait gagner, Henri, le moins incompatible sentimentalement, se prépare au duel : « Mon frère s'amuse d'être prêt à tuer sa mère. » Quant à Junon, elle ira prendre sans états d'âme ce qu'elle estime lui revenir : « Henri vient de mon ventre. Je reprends ce qui m'appartient. »
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Et puis il y a les autres, qui, Noël ou pas, ne se font pas de cadeaux non plus. Claude, mari d'Elisabeth, qui a baissé les armes face au monstre de souffrance qu'est devenue sa femme. Sylvia, épouse du pacificateur Ivan, qui règle ses comptes avec Simon, peintre et neveu de Junon : « Tu es un échec monumental. » Faunia, la petite amie d'Henri, qui couvre tout cela d'un humour cynique et salvateur.
Et enfin Joseph, le fils décédé sans que son père soit jamais arrivé à verser une larme, dont le fantôme vient tirer les pieds de ce beau monde.
En 6 tableaux : Roubaix ! - La lettre - Réunis - Les revenants - Allégresses - Les adieux, Desplechin, dans un style qui reste unique et inégalé, donne une formidable leçon de cinéma, servie par une famille agrandie et une distribution exceptionnelle, avec mentions spéciales à Catherine Deneuve, Jean-Paul Roussillon, Mathieu Amalric, Anne Consigny et la toujours épatante Emmanuelle Devos.
Marie-Jo Astic
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