Tokyo!
|
Hymne aux oubliés C'EST QUOI, LE BUT ? Tokyo! ou l'art d'aborder conceptuellement le coeur d'une ville, sa concentration, son mode de vie, à travers trois regards de metteurs en scène, tous portés sur une question d'incommunicabilité à travers l'idée d'une overdose de mouvements et de lumières que l'on se fait de Tokyo. L'ensemble, évidemment handicapé par une certaine inégalité dans la qualité des métrages, parvient tout de même à faire miroiter une unité de la capitale japonaise. Un programme étrange, déjanté, abstrait, intellectuel, archi-symbolique, drôle parfois, pessimiste souvent. 1) INTERIOR DESIGN, de Michel Gondry Une petite histoire originale et poétique sur une femme qui, délaissée, va peu à peu se transformer en chaise et accéder enfin à une forme d'utilité sociale. La mise en scène naturaliste de Gondry(chose surprenante chez lui il est vrai!) fait trop la part belle à de longs dialogues du quotidien censés faire oublier le décor. La neutralité dans la mise en valeur de différents personnages empêche le film de décoller. On frise l'ennui jusqu'à la poésie sublime des dernières minutes, touchées par la grâce, par cet esprit décalé si cher à Gondry (et à nous par extension). Interior Design se fait alors la parabole réussie de l'incompréhension au centre d'un environnement faussement communicatif. 2) MERDE, de Leos Carax Le début amuse un instant : un long plan-séquence où l'on suit la méchanceté d'une créature répugnante embouteillant subitement le rythme d'une ville, chamboulant son activité par un bordel honteux. Et s'en suit... un film de procès. Après avoir visité les souterrains de la capitale, Carax, dans un insupportable élan de patriotisme, relance le cadre à Paris, fait parler la France et les français avec un trip pamphlétaire sans rapport. Son court-métrage, éparpillé en divers chapitres qui ne se recollent jamais, fera l'objet d'une scène de destruction du peuple tokyoïte à la grenade, d'une ridicule tentative de dialogue entre l'homme et la bête, puis d'une longue scène de procès, d'une pendaison comique et d'un crachat facile sur les Etats-Unis, et dont la liaison avec le thème principal - Tokyo - nous échappe encore. Certains applaudisseront tant de méchanceté gratuite, les autres se moqueront de cet intellectualisme affligeant et de l'étirement d'une idée de base originale en un long film poseur, constamment dans la critique politique et du pouvoir de l'image. Un grand et odieux foutoir. |
3) SHAKING TOKYO, de Bong Joon-Ho Indéniablement le meilleur segment de ce triptyque tokyoïte : l'histoire d'un Hikikomori (une personne décidant de vivre recluse, coupée de toute vie sociale) qui rencontre une livreuse de pizza / Cyborg. Bong Joon-Ho confirme, après Memories of Murder et The Host, deux des films les plus entiers de ce nouveau siècle, son talent pour l'impossible, sa manière de capter les corps avec une tendresse infinie. Sa direction d'acteurs est sublime ; ils sont en transe, naturellement amoureux l'un de l'autre, à la fois tristes, desespérés et impatients de découvrir le renouveau du bonheur. Et la mise en scène qui les traverse, eux, au centre du cadre et de l'histoire, est magique ; des cheveux qui s'hérissent, une boîte de pizza à l'envers, la lumière saturée d'un rayon de soleil, un tremblement de terre qui définit sans les mots l'Amour, un bout de chair flétrie, une jambe qui se découvre dans l'étroitesse d'un porte-jarretelle, une sensualité à fleur d'eau et de peau, un oeil qui esquive, une maison végétale... le scénario, court, offre une poésie vers l'infini. La conclusion, évidente pour fermer le programme, nous laisse longtemps euphorique. Les plus belles histoires d'amour sont les plus courtes. AU FINAL... ÇA VAUT LE COUP OU PAS ? : Et bien oui, à condition d'aimer les approches purement conceptuelles, originales, décalées, absurdes voire burlesques par moment. Si l'on garde le Gondry et surtout le Bong Joon-Ho, et que l'on jette Merde à la poubelle (en toute logique d'ailleurs), Tokyo! vaut la peine d'être vu. Même si ces courts ne se ressemblent pas - et tant mieux ! - et qu'ils sont tous d'une différente valeur cinématographique, ils n'en demeurent pas moins fusionnels entre eux, la preuve d'une véritable unité artistique pour un projet fort et finalement attachant dans sa volonté assumée de se débarrasser d'une routine artistique et visuelle par le biais du décalage extrême. Une expérience à tenter. LA PHRASE DU FILM : "Vous avez les yeux comme le sexe d'une femme." (Merde, de Leos Carax) Jean-Baptiste Doulcet |
1h50 – France / Japon / Corée du sud / Allemagne - Scénario et dialogues : - - Photo : Masami INOMOTO, Caroline CHAMPETIER, Jun FUKUMOTO - Décors : - - Musique : - - Montage : - - Son : - - Beatrice - Interprétation : Yu AOI, Jean-François BALMER, Ayako FUJITANI, Teruyuki KAGAWA, Ryo KASE, Denis LAVANT. |