Snow est le premier long métrage d’Aida Begic mais aussi le premier film produit par une femme en Bosnie, pays en guerre dans les années 90. C’est cette période de l’histoire que la réalisatrice a voulu exhumer et immortaliser, en réaction au silence qui entoure ces événements dans son pays. On pourrait s’attendre à un scénario larmoyant ou violent, comme dans de nombreux films abordant ce sujet, mais, au contraire, on nous propose une vision pudique et féminine de la guerre. L’accent est mis sur les conséquences humaines et non sur les combats, la lutte même.
Le spectateur se trouve dès la première scène plongé au cœur d’un petit village isolé de la ville et de la guerre, où l’attente ronge le quotidien des quelques femmes et enfants restés sur place. On se retrouve entraîné dans leur quotidien grâce à la récurrence et la simplicité des actions. Entre fabrication de compote de prunes et confection de tissus, une tranquillité pesante s’installe, laissant le spectateur et les personnages dans le doute. Qu’est-il arrivé aux hommes qui sont partis au combat ? Tant que cette question ne trouvera pas de réponse, l’impossibilité, pour ces femmes, de faire leur deuil continuera de les oppresser.
Remarquable tout d’abord par son rendu visuel, Snow est un film poétique et atemporel dont la maîtrise de la lumière et des paysages touche le spectateur. Son réalisme nous donne un aperçu saisissant de la situation méconnue de ce pays et du drame qui s’y est déroulé. D’abord assez lent, le film prend de l’ampleur dès lors que le destin de ces personnages est bouleversé par l’arrivée de deux hommes qui vont accélérer dramatiquement la tournure des événements. La certitude que leurs maris ou pères ne rentreront pas, l’avenir du village incertain, la neige paralysante obscurcissent l’horizon. Le printemps viendra-t-il ?
Arnaud Schmitt, Nadège Robin
Lycée Jules Verne de
Nantes
Les fruits du bonheur
Laborieux mais victorieux !
Après six années de recherches et de travail, Aida Begic nous offre un film marquant par son réalisme et sa sensibilité. S’il est difficile de réaliser un film en Bosnie, ça l’est d’autant plus pour une femme voilée : elle accomplit donc une double performance.
Replaçons-nous dans le contexte : 1997, nous sommes en Bosnie de l’est, un petit village ruiné physiquement et moralement après la guerre qui a accompagné l’éclatement de l’ex-Yougoslavie. Cette tragédie entraîna le massacre d’hommes et laissa un pays détruit aux femmes, seules – « Tous nos hommes ont été tués ». Aida Begic défend la cause de ces femmes qui sombrent dans l’oubli malgré le travail qu’elles ont fourni, passant outre leur douleur.
Après la perte de leurs maris et enfants, six femmes, un grand père et cinq enfants doivent accepter la vérité pour enfin faire le deuil et se reconstruire. Assumant leurs responsabilités, reprenant leur travail agricole, elles se prennent en main dans l’espoir de faire fortune en nourrissant la moitié de la Bosnie grâce à Slavno, le fameux village.
Tel un leitmotiv, la foi est omniprésente dans ce film et permet aux personnages de se soutenir. De façon habile et sans trop d’insistance, la réalisatrice nous montre l’importance du rite commun qui rythme le quotidien dans cette culture. Retenons la scène de prière dans un monument en ruine face à un paysage vertigineux ! Aida Begic utilise avec aisance la beauté de ses contrées dépeuplées et bucoliques. Les couleurs vives et éclatantes des fruits ainsi que les étendues verdoyantes nous séduisent et nous envoûtent pour un instant de plaisir à la fois visuel et gustatif.
La guerre, tragique et violente, est traitée ici de manière explicite mais non brutale.
L’avant dernière scène cadrant le cimetière suggère l’accomplissement du deuil, permettant ainsi l’accès au bonheur.
Un film éblouissant pour un premier long-métrage, attendons le prochain !
Camille Rolland, Margaux Janin,
Lycée Saint Exupéry de Lyon
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La Reine des Neiges
Il est de ces films comme il est de certaines confitures artisanales : à l’aspect peu attirant, ils laissent pourtant au spectateur une saveur inoubliable, mélange d’un arôme de douceur et d’un zeste de pudeur.
Snow en fait partie. Bosnie-Herzégovine. Slavno : six lettres, six femmes dans ce village, amazones bien malgré elles depuis que la guerre a emporté tous leurs hommes. Décidées à vivre comme avant, quand ils étaient encore là, en répétant les mêmes gestes quotidiens, en cultivant des fruits pour survivre, comme une dernière résistance face aux bouleversements irréversibles du conflit.
Aida Begic a peint ici le tableau d’une réalité douloureuse, faite de joies passagères et de souffrances cachées. Elle nous offre un film à la beauté visuelle évidente qui, bien que né en Europe de l’Est, eût été digne d’un maître flamand : précision du cadrage, lumière tamisée et pureté des couleurs, Snow est aussi subtil qu’une œuvre de Vermeer.
Pourtant, dans ce village figé par le temps, la réalisatrice a brossé des portraits de femmes pleins de vie. Elle voulait des actrices qui soient « vraies » dans ces rôles de villageoises fières et courageuses. Bien que tous citadins, les comédiens sont plus que convaincants dans leur interprétation. Leurs visages sont burinés et ont pris cet air impassible propre aux paysans qui n’attendent plus rien. Se dégage de cet ensemble la figure d’Alma (Zana Marjanovic, impressionnante), aux airs de Madone byzantine sous son voile bleu, petit bout de femme qui mène les affaires du village en lutte contre la misère. Lorsque deux promoteurs serbes, les ennemis d’hier, débarquent à Slavno pour racheter leurs terres, elle se cabre, farouche, face à la menace extérieure… Mais les autres, que choisir ? L’argent d’un serbe pour un nouveau départ ou leurs terres bosniaques où se tiennent leurs maisons et tout un pan de leur vie ? S’offre alors à ces femmes un dilemme impossible, faisant ressurgir toutes les rancœurs et angoisses, tout le vide insondable qu’elles ont essayé de combler durant des mois.
Avec sensibilité, la réalisatrice a filmé ainsi sept jours d’une vie, nécessaires à l’éclosion d’une vérité, la vérité, de celle qui laisse la peau à vif…
Nous n’écrirons pas qu’Aida Begic a fait un film magnifique et d’une incroyable force, nous garderons simplement l’image lumineuse d’un foulard flottant dans le vent, porteur de toutes les promesses…
Mélanie Thoinet
Lycée Carnot de Cannes
Prune d’amour
Immersion, se laisser immerger, le rêve peut enfin commencer. A travers les montagnes embrumées, Aida Begie invite tout curieux, à suivre onze bosniaques tentant de continuer à vivre malgré leur isolement. Elle esquisse le portrait de six femmes, portant dans la profondeur de leurs regards les traces d’un passé meurtrier, qui a frappé ceux auxquels on tenait le plus.
Alma incarne cette génération qui ne vit que dans l’espoir de pouvoir un jour renaître. Déchirée par les souvenirs lascifs qu’elle enferme dans une boîte de danseuse, cette jeune femme continue d’aspirer à un futur neuf, prospère et novateur. Alors après des journées de labeur, où l’odeur de la confiture de prune imbibe le spectateur, Alma se laisse aller…Le vent joue à cache-cache avec son voile vagabond, l’eau danse sur sa peau, ses mains caressent avec sensualité les contours de son visage, Alma est prête, elle peut aller prier, rejoindre la mosquée colorée où son mari l’attendait. Cette séquence filmée au ralenti est reprise comme un refrain, un souvenir qui témoigne de la sérénité d’un passé déchu. Des souvenirs dont on voudrait se débarrasser, s’extirper, mais qui, tatoués dans l’inconscient, ne cessent de ressurgir avec étrangeté.
Car Snow est aussi un film mystique, l’expression de phénomènes insolites mais insérés avec une telle poésie qu’ils permettent de maintenir une ambiance palpitante, voire envoûtante. Des cheveux indomptables révélant l’angoisse d’un enfant muet répondent au tapis magique d’une mamie couturière. Réalisme et fantastique se côtoient donc, projetés sur une toile de fond pleine de couleurs, de jeux d’enfants et de contines à la profondeur déconcertante. Le contraste s’exprime encore par la confrontation explosive entre ces femmes endurcies et sincères et ces hommes maniant l’hypocrisie avec brio pour parvenir à leur fin.
Guidant le spectateur dans le labyrinthe de bocaux colorés, Aida Begie imprime sur la pellicule filmique un moment clé de l’histoire de son pays. La délectation d’une confiture sucrée complète les témoignages poignants de vies maintenant détruites. Une œuvre savoureuse et d’une séduisante suavité.
Pauline Proffit
Lycée d’Artagnan de Nogaro
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