Je veux voir I Want to See de Joana Hadjithomas, Khalil Joreige Sélection officielle Un certain regard Sortie en salle : 03 décembre 2008 |
C'est l'une des plus belles déclarations d'amour au cinéma. C'est Catherine Deneuve face au Liban, la fin d'une guerre, un voyage en voiture, des plaies qui s'ouvrent et qui se ferment, des plages de ruines au bord d'une mer orange et bleue, des lumières qui dansent la nuit. Ce sont les ruines du monde qu'ont observées Hadjithomas et Joreige, que l'on sacre réalisateurs de l'année pour cette escapade en forme de blues, mi-triste mi-joyeuse, mi-fiction mi-documentaire. Catherine Deneuve est Catherine Deneuve ; arrivée au Liban, la fin nous est dévoilée par les mots, il s'agira d'atterrir à une soirée de gala. Et durant la journée, les cinéastes, en forme de temps réel, les filment, elle et Rabih Mroué, star du pays, déambulant dans Beyrouth à la recherche de l'image vraie et des souvenirs. Car de la guerre du Liban qui a éclaté en 2006, « nous ne connaissons que des reportages télé » , des images choquantes, vraies mais qui n'aident pas à comprendre. L'idée de ce film est de prendre, en 1h15, de photographier presque tant le principe technique du mouvement est minimaliste, des fragments d'idées, de vécu, de mémoire, de décors, pour construire un tout, une cohérence. Que peut-on faire avec une caméra, s'interrogent les cinéastes ? Rien si l'on cherche, tout si l'on ne cherche pas et que l'on se laisse bercer dans les dédales sans fin d'un pays, ses habitants filmés discrètement, scrutant du regard la caméra comme pour fixer la « Star » Deneuve, icône cinématographique s'il en est, devenue le temps d'un film, c'est-à-dire l'infini, le public qui voit les choses telles qu'elles sont. Il y a des paysages, des herbes au vent, du soleil, parfois. Il y a un terrain miné, splendide tension de cinéma où la possibilité du vrai côtoie l'assurance du faux. Il y a deux stars d'un pays respectif qui se rejoignent, abandonnent toute forme d'égocentrisme, toute attitude people pour se lancer corps et âme dans ce qui sera leur plus beau rôle : eux-mêmes. Ce n'est même pas tant par le dialogue concret, l'interrogatoire auquel se soumet Rabih Mroué par Deneuve, que le film éclaire. Il nous apprend grâce à de petits morceaux connectés entre eux, improvisés parfois, au gré d'un voyage sans frontière. La troupe militaire n'a plus de puissance face au cinéma, sans accord pourtant. Je veux voir est un film de possibilités infinies en ce qu'il traverse l'art et le renverse pour y déceler chacune de ses magies. Certains diront que ce n'est pas du cinéma. Ils auront tort, car au-delà de l'expérience audio-visuelle que représente cette oeuvre magnifique et absolument poignante, habile et poétique, il prend le pas sur toutes les mises en scènes préconçues et irréelles, pour filmer en face la mémoire d'un peuple, d'un pays, d'une femme qui se souvient, d'une star qui enfin n'en est plus une. Ce sont des images de paix que saisissent dans l'instant le couple de cinéastes, et justement, bien plus qu'une expérimentation cinématographique ou un diaporama de paysages en ruines, Je veux voir transperce le cinéma de par sa vitalité de regard et l'originalité de son procédé, d'un naturel qui confine à l'absolu. |
Le Liban devient une comédie amère, pleine d'espoir et de renoncements, de craintes et de douleurs feintes. Il y a des envolées poétiques qui touchent à l'essence même de ce qu'est « filmer » , comme ce champ dont les épis dorés se contorsionnent en rythme dans le vent, avant que l'objectif ne transforme l'image en un fouilli de jaune et de rouge qui déforme la sensation en une prolongation de la beauté naturelle à l'état d'effet technique. Le film avance, tout en questionnements et en humanité, universel, foudroyant, renversant, et pourtant, aussi abstrait pourra-t-on trouver l'idée, l'œuvre reste étonnamment accessible, filmée comme l'on filme un voyage à la fenêtre d'un train. Filmer la vie qui défile parvient à nous toucher profondément, car Je veux voir n'est pas vraiment plus que cette simplicité religieuse, cette conséquence émotionnelle qui arrive seule, sans les faits (inexistants). Le film touche l'art et sa nature, plus largement LA nature en général ; impossible d'en ressortir comme dans l'état - peut-être méfiant - où l'on est rentré dans la salle. L'impression est telle, si forte et inoubliable, d'avoir visité un pays, un peuple, le monde entier, d'avoir vu briller mille divinités réelles, d'avoir vu le cinéma en son sein, que l'on quitte la salle guidés par cette musique de rock libanais, rythmique, sur l'image des lumières de la ville qui défilent la nuit, pour nous dire que la journée, comme le film, va se finir. Mais juste avant la fin, la grâce d'un regard qui dit tout entre Deneuve et Mroué, comme déchirée par la bonté d'un homme qui lui a ouvert son cœur et sa mémoire, rappelle la précieuse de Belle de Jour, réincarne dans un élan radieux la battante de chez Von Trier, rappelle sa magnifique silhouette de chez Téchiné et Corneau, sa grâce simple dans l'univers de Demy et autres Truffaut. Le quotidien et la douleur transcendés, enveloppant d'un geste et d'une idée géniale (la plus simple qui soit au cinéma : filmer ce qu'il y a là, devant) tous les réalisateurs que Catherine Deneuve a rencontrés, prenant le pouls du Liban, le pouls de la vie et des hommes, du monde et de ses secrets honteux, Hadjithomas & Joreige réalisent un film d'amour, peut-être le plus simple et le plus évident qui n'ait jamais existé. Et atteignent, par ce chemin, le droit tout justifié par leur talent de se vanter d'être parmi les plus grands réalisateurs du monde. Car capter les choses, c'est déjà être génial. Jean-Baptiste Doulcet
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1h15 - Liban / France - Scénario et dialogues : Joana HADJITHOMAS, Khalil JOREIGE - Photo : Julien HIRSCH - Décors : - - Musique : SCRAMBLED EGGS - Montage : Enrica GATTOLINI - Son : Guillaume LEBRAZ, Sylvain MALBRANT, Emmanuel CROSET - Interprétation : Catherine DENEUVE, Rabih MROUÉ. |