Le Faucon va mourir est tout sauf un film plaisant : un
cinéma qui secoue et dérange les habitudes narratives du
spectateur, en mettant en scène des personnages auxquels on ne
pourra s’identifier directement, mais sans bousculer pour autant
les codes du langage cinématographique.
Un garagiste entre deux âges vit avec sa sœur fantasque et
son neveu autiste (Michael Pitt, méconnaissable et parfait), avec
qui il partage la passion des oiseaux. Après des années
de vaines tentatives, les deux hommes capturent la plus belle bête
qu’ils n’aient jamais vu : un faucon à queue
rouge. La présence de ce seul animal évoque inévitablement
le très beau Kes de Ken Loach (1969). Ici, la présence
de l’oiseau est moins l’expression d’une quête
identitaire qu’un dérivatif au manque de sens de la vie
prétendue civilisée. Dans le rapport de l’homme à l’animal
se crée une osmose envoûtante, entre fable, réalisme
et fantastique, qui donne les meilleures séquences du film. Mais
en aucun cas l’auteur ne cherche à lorgner vers la joliesse
facile et la mièvrerie de Birdy ou du Grand bleu,
nanars de référence.
L’œuvre est en outre composée de ruptures de ton dans
la linéarité de son récit :
|
un suicide inattendu vient ainsi déplacer l’attention et
donner au film une tonalité définitivement sombre. Le sommet
de cette noirceur sera atteint par une saisissante scène dans
un reposoir : ici la poésie noire nous atteind de plein fouet,
en quelques secondes qui évoquent le frisson suscité par Les
Yeux sans visage.
Mais sans doute les emprunts de Julian Goldberger,
le jeune réalisateur,
sont-ils à chercher dans le cinéma indépendant américain
situé en marge des modes et dont John Sayles est l’un des
représentants. Un cinéma de communautés et de solitaires
qui par instants évoque aussi Cassavetes : les rapports frère/sœur
font écho aux personnages de Love Streams et il n’est
pas surprenant que comme dans ce film, nous les prenions au début
pour des époux.
On pourra regretter une longueur excessive et des passages répétitifs,
ainsi qu’un filmage somme toute anodin, mais ils ne gâchent
que partiellement l’intérêt suscité. L’œuvre
est aussi l’occasion de retrouver Paul Giamati (American
Splendor, Sideways), acteur solide aux choix courageux qui est un
peu le nouveau Ben Gazzara du cinéma américain.
Gérard Crespo |