Ce qui reste de nous What Remains of Us François Prévost, Hugo Latulippe Semaine Internationale de la Critique |
Quel
intérêt peut-il y avoir à rendre compte d'un film documentaire tourné en
images numériques, qui ne se verra pas offrir de distribution nationale,
qui ne passera jamais sur le petit écran ? C'est tout simplement qu'il
y a urgence à en parler.
Car Ce qu'il reste de nous va au-delà de la fiction la plus forte, au-delà même
de la dénonciation politique. Entre 1996 et 2004, le médecin François Prévost et le documentariste Hugo Latulippe, tous deux canadiens, ont procédé à une dizaine d'incursions au Tibet. Sous le couvert de leur statut de touristes, et accompagnés de Kalsang Dolma, une jeune Tibétaine née en exil dans un camp indien, ils ont filmé à l'insu des autorités chinoises les survivants bouddhistes de l'épuration ethnique mise en œuvre par Pékin. Les chiffres sont effrayants : « Depuis l'invasion du Tibet par l'armée de Mao en 1950, un million deux cent mille Tibétains ont disparu, ont été envoyés dans des camps de travail, dans des prisons, ont été exécutés, torturés à mort ou ils n'ont simplement pas survécu aux famines. Deux cent mille d'entre eux ont été contraints à l'exil. Sur le territoire du Tibet, 6254 lieux sacrés et monastères millénaires ont été détruits.» (Extrait du dossier de presse). Pire encore, peut-être : les dix millions de Chinois déplacés au Tibet créent une pollution galopante, exploitent sans vergogne les richesses du Pays des neiges : or, uranium, argent, pétrole, et rasent les forêts ancestrales. C'est cette misère que les cinéastes ont voulu dénoncer, en filmant ceux que l'on a oubliés, et qui pour certains ont vu pour la première fois ce qu'est une caméra. La prise de risques était énorme, car le pays vit dans la terreur de la dénonciation. Les noms et les lieux ne sont pas identifiés dans le film, et c'est ce qui a justifié que ce dimanche 16 mai 2004, date de la projection dans le cadre de la Semaine de la Critique, les responsables de la salle Miramar aient exceptionnellement fait procéder à la fouille des spectateurs, par crainte des espions. C'est ce qui explique encore que les documentaristes eux--mêmes refusent toute diffusion télévisée de leur œuvre, quitte à en restreindre l'impact… |
Mais
au-delà de ce témoignage, Ce qu'il reste de nous est aussi un fort
vecteur d'émotion. Hugo Latulippe et François Prévost ne se sont pas contentés
d'aller filmer les Tibétains. Grâce à la confiance que pouvait inspirer Kalsang
Dolma, ils ont réussi à diffuser à tous les désespérés qu'ils rencontraient
un message de paix du Dalaï-Lama. C'est dans ces instants que le film se fait
le plus poignant : de longs plans séquences, fixes, larges et de face, montrent
deux ou trois générations de Tibétains rivés au petit écran vidéo sur lequel
défilent les images (que l'on ne voit pas) du Dalaï-Lama. Tous — ou presque — découvrent
pour la première fois le visage de leur guide spirituel… Au-delà des larmes,
l'espoir renaît, fugitif ; et la non-violence reste l'attitude choisie et revendiquée
par tous, même si l'on sent le doute et la révolte s'infiltrer dans l'esprit
des plus jeunes. |
1h24 - Canada - Scénario, photo, son : François Prévost, Hugo Latulippe - Narration :François Prévost, Hugo Latulippe, Kalsang Dilma - Musique : Techung, Yunchen Lhamo, Kalsang Dolma, Jamyang - Montage : Annie Jean. |