Depuis que
le cinéma d'animation a son fauteuil réservé dans la sélection officielle
du Festival de Cannes (Shrek en 2001, Spirit en 2002), le
cru de l'année s'accompagne d'une jubilatoire impatience enfantine. Pour
ces Triplettes de Belleville, l'attente était d'autant plus fébrile
qu'on avait pu apprécier l'univers graphique si particulier de Sylvain
Chomet dans son petit bijou de moyen métrage La vieille dame et les
pigeons, auréolé de nombreuses récompenses internationales.
De vielle dame il est encore question dans cette drôle et ténébreuse histoire
située dans la France populaire des années cinquante. Madame Souza, cherchant
une activité pour son petit-fils qu'elle élève seule avec l'indolent chien
Bruno, fait suivre à « Champion » un entraînement acharné sur la petite
reine du genre vélo/mais trop !/dodo. Son pied bot claquant sur le pavé,
le sifflet aux lèvres, Madame Souza va mener son poulain jusqu'au mythique
Tour de France.
Mais pendant la course, apparemment habitué à la queue du peloton dont
Mamie assure la voiture balai, Champion va se faire kidnapper par de mystérieux
hommes en noir. Souza et Bruno partent alors à sa recherche et leur quête
les mènera de l'autre côté de l'océan, dans une mégalopole, pittoresque
mélange de Paris, New York et Montréal, aux prises avec des trafiquants
de coureurs cyclistes… Ils trouveront refuge et aide auprès des Triplettes
de Belleville, ex-stars de music-hall des années trente.
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Les dialogues
sont quasi inexistants, Sylvain Chomet préférant travailler sur l'animation
de ses personnages aux formes caricaturées à la Dubout, pseudo-mimes proches
de Tati (qui est d'ailleurs cité explicitement dans le film par des affiches
de Jour de fête), mais aussi de Keaton ou de Chaplin.
Les séquences d'animation en techniques 3D sont adroitement intégrées
à la 2D, telle cette épique traversée “pédalocéanique“ particulièrement
réussie. Si les trouvailles abondent dans ce film sombre mais généreux
— l'orchestre des Triplettes, la machine à pédaler, le rêve de Bruno,
la chasse aux grenouilles à l'explosif, etc. — le scénario n'arrive pas
toujours à trouver le bon braquet… et on se surprend à friser l'ennui
quand par moments la narration pédale dans le vide.
Sans
doute Sylvain Chomet aurait-il dû (s'il avait pu ?) rester à sa première
idée de projet de Triplettes, trois moyens métrages racontant les
aventures de trois sœurs, la vieille dame et les pigeons, la vieille dame
et les bicyclettes et la vieille dame et les ouaouarons (nom canadien
d'une espèce de grenouilles). Cela dit, il y a dans chacun des plans des
Triplettes de Belleville une grande humilité qui cache le travail
titanesque du réalisateur et de son équipe, sous la houlette du producteur
Didier Brunner (Kirikou la sorcière). La malice à glisser un gag,
l'air de rien, dans un coin du champ de l'image (encore Tati…), la ténacité
des personnages portée par l'effort jusqu'à l'absurde, l'inventivité du
graphisme aux couleurs telluriques, participent à l'étrange poésie de
ce cette œuvre originale.
Jean Gouny
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