L'Arche russe Russian Ark - Russkiy kovcheg Alexandre Sokourov Sélection Officielle
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Silence…
moteur… action ! Et nous voilà partis pour un peu plus d'une heure et demie
sans reprendre notre souffle, dans un extraordinaire plan-séquence à travers
le musée de l'Ermitage de Saint-Pétersbourg. 1300 mètres de promenade de
salles en salles, d'un siècle à l'autre. Ce voyage est d'abord celui du
réalisateur, invisible pour ceux qui l'entourent, donnant son point de vue
à cette prise unique, sans aucun montage. Dans sa balade, il est accompagné
d'un diplomate français du XIXe siècle, compagnon étrange et cynique, ne
cachant pas l'ambivalence de sa relation avec la Russie. Délaissant pour
un temps les destins de grands dictateurs de l'histoire contemporaine (Hitler
avec Moloch en 1999 et Lénine dans Taurus en 2000), Alexandre
Sokourov célèbre ici la richesse artistique de la Russie d'antan et la mémoire
des blessures de son peuple. Dans des discussions aussi passionnées qu'ironiques,
le cinéaste partage avec son guide les fastes pompeux de la visite de l'ambassadeur
de Perse au Tsar, le désespoir pendant le siège de Leningrad par les nazis,
mais aussi des scènes plus amusantes et cocasses comme Pierre le Grand poursuivant
un général avec un fouet, Catherine II cherchant un endroit pour se soulager
pendant la répétition d'une de ses pièces de théâtre ou encore un dîner
en famille du dernier Tsar pendant que la révolution gronde au dehors. |
Au delà d'une performance technique invraisemblable — il n'est que d'imaginer la préparation des 33 plateaux de tournage disséminés sur le parcours, la complexité des éclairages, la minutie de la mise en place du millier d'acteurs et figurants le tour de force du réalisateur et de son équipe est au service d'une tâche artistique particulière : le film court sans interruption à l'intérieur d'un espace temporel uni. Le plan-séquence nous emprisonne d'habitude dans le temps de la diégèse ; ici, dans un subtil paradoxe, il nous transporte du XVIIIe siècle à nos jours dans une fluidité étonnante, le passage de salles en salles servant de découpage. Si l'on peut reprocher certains propos un peu nébuleux sur la grandeur de la Russie tsariste, et une petite frustration devant les tableaux de maîtres sortant trop rapidement du champ, on reste soufflé par la beauté extraordinaire des plafonds et couloirs de l'ancien palais d'Hiver, cadrées et éclairées avec un talent inouï ; on se laisse porter d'un bout à l'autre de ce parcours temporel qui prouve que l'avènement d'un cinéma numérique peut profiter à des projets artistiques singuliers et remarquables. Jean Gouny |
1h36 - Russie - Scénario et dialogues : Anatoli Nikiforov, Alexandre Sokourov - Images : Tilman Büttner - Musique : M. Glinka, P. Tchaikovsky, G. Ph. Telemann, G. Persella, S. Yevtushenko - Montage : Sergey Ivanov, Stefan Ciupek, Betina Kuntzsch - Interprètes : Sergey Dreiden (Marquis de Custine), Maria Kuznetsova (La Grande Catherine), Leonid Mozgovoy (L'espion), Prf. Mikhail Piotrovsky (Lui-même), David Giorgobiani (Orbelli), Alexander Chaban (Boris Piotrovsky). |