Les festivals
de cinéma, et Cannes en particulier, sont des lieux de découverte mais
aussi d'expérience. Présenté en début de manifestation, ce film d'un jeune
inconnu venu de l'expérimentation et de la vidéo, va profondément diviser
la Croisette.
La première heure installe avec lenteur les personnages et la narration.
En Thaïlande, un jeune immigré Birman (que l'on pressent dans l Ôillégalité)
est hébergé par une femme mûre et sa fille, Roong, qui cherchent à lui
faire obtenir des papiers lui permettant de se faire soigner une maladie
de peau. Filmée en plans séquences, cette partie tient avant tout d'un
cinéma observateur d'une certaine réalité sociale thaïlandaise. Un jour,
Min, le clandestin, vient chercher à son travail la jeune fille et lui
propose un pique-nique en forêt. Débute alors le générique de début (après
plus de 45 minutes de film, on n'y pensait même plus !) et la deuxième
partie que rien n'annonçait jusqu'ici.
Le titre, Blissfully Yours (Extatiquement
Vôtre), prend alors tout son sens. Le film abandonne toutes les pistes
mises en place pour s'enfoncer avec ses protagonistes dans la jungle et
offrir au spectateur une expérience de
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cinéma contemplative
et radicale : on y assiste, pratiquement en temps réel, à une cueillette
de baies, à la préparation du pique-nique (qui ne sera jamais consommé
et bientôt envahi par les insectes), à une baignade, puis à une sieste…
Ce panthéisme, conduisant au réveil de la sensualité et bientôt de la
sexualité, connaîtra son point culminant au bord de la rivière. Sur fond
sonore de jungle et d'eau ruisselante , la jeune Roong caresse de longues
minutes et en un gros plan d'une belle crudité le sexe de son partenaire
avant de s'assoupir de nouveau. Un tel film ne peut laisser indifférent.
Au choix, on pourra le trouver novateur et fascinant ou poseur et exaspérant,
comme pour l'auteur de ces lignes, tout en étant nullement surpris que
votre voisin pense exactement l'inverse (*). Mais sa place dans la section
« Un Certain Regard » était, elle, indiscutable.
Pierre Soubeyras
(*) Il convient de noter les comptes-rendus dithyrambiques de certains
critiques français, notamment
ceux parus dans Libération ou dans les Inrockuptibles.
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