Taurus 
Alexandre Sokurov
Sélection Officielle
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Leur exercice du pouvoir a marqué au fer rouge l'histoire du XXe siècle : ils s'appelaient Hitler ou Lénine. Sokourov imagine ce qu'ont pu être leurs fins de vie : après Moloch, voici Taurus, où cette fois la dimension tragique prend le pas sur le ridicule et le pitoyable.
A aucun moment Sokourov ne sollicite cependant la moindre compassion pour celui qui reste l'un des plus grands bourreaux de l'histoire : en 1922, les cinq millions de morts de famine en Ukraine ne font que inaugurent les massacres à venir. Il nous propose de rencontrer le temps d'une journée, décortiquée dans ses moindres détails, l'auteur de la révolution russe, à un des moments les plus difficiles de sa vie, alors que le néant s'approche de lui à grands pas.
Dehors, un brouillard épais et sombre. Lénine est là, dans une maison qui lui a été prêtée le temps d'y mourir, au terme d'un marathon mené à une allure inhumaine pour que l'Histoire se fasse à son idée ; subissant la vulgarité et les familiarités d'étrangers, nommés à "son service" pour espionner et transmettre des rapports ; écrasé par cette atmosphère pesante et encombrée de petits tracas ; accablé d'une angoisse infinie. Lénine est là, face au premier ennemi qui lui ait jamais résisté : la sénilité, la maladie. Il y a aussi sa femme, dont il s'aperçoit à peine de la

présence : servante, dévouée à lui seul, assujettie à la cause, vouée à n'avoir aucune vie ni aucun sentiment, destinée à ne pas lui survivre.
Cette journée lui vaut la visite de Staline, qui attend son heure et qui annonce déjà que le pire est à venir. D'instrument pour atteindre un but, le pouvoir va devenir le but en lui-même. Lénine mesure le caractère monstrueux de la machine qu'il a lui-même construite et évalue l'état de sa créature. « Un arbre est tombé et barre la route. Quelle solution faut-il adopter : 1/ attendre qu'il pourrisse - 2/ le pousser sur le bord - 3/ le hacher en petits morceaux. Staline choisira la troisième méthode. »
Les questions que Lénine se pose, décidément beaucoup trop tard (« Trouvera-t-on un jour un autre levier que la terreur ? ») n'effleureront jamais son successeur. On sait ce qui arrive lorsque le pouvoir permet aux hommes de mettre en œuvre leurs idées, on sait à quel point il entraîne la dégradation spirituelle de celui qui le détient, on sait qu'il ne peut exister et se maintenir que par la violence. S'il est des mains auxquelles il aurait dû échapper, ce sont bien celles de Staline. Le peuple de Russie n'aura connu ce pouvoir, omniprésent dans les moindres recoins de sa pauvre vie, qu'exercé systématiquement contre lui.

Marie-José Astic


1h30 - Russe - Scénario et dialogues : Youri Arabov - Images : Alexandre Sokurov - Musique : andrei Sigle - Montage : Leda Semyonova - Décors : Natalia Kochergina - Interprètes : Leonid Mozgovoi, Maria Kouznetsova, Sergai Razhuk, Natalia Nikulenko, Lev Yeliseyev, Nikolai Oustinov .

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