Je rentre à la maison
Vou Para Casa
Manoel de Oliveira
Sélection Officielle

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Eloge de l’âge mûr…

À l’instar des autres réalisateurs présents en compétition et partageant un âge qui les qualifierait d’anciens dans une maison de retraite, Manoel de Oliveira a surpris par la jeunesse de son cinéma profond et espiègle. Pour sa onzième participation à Cannes, il a de grandes chances de gagner un public d’ordinaire un peu réticent à son cinéma parfois radical, par l’humanité et la générosité présentes dans Je rentre à la maison.
Alors qu’il termine sur scène une représentation du Roi se meurt de Ionesco, Gilbert Valence, comédien accompli et reconnu (habité par un magistral Piccoli dont on n’aurait pas discuté l’attribution du prix d’interprétation…), apprend la mort accidentelle de sa femme, sa fille et son gendre. Le temps passe. S’accrochant à l’amour pour son petit-fils dont il a pris la charge et à sa passion pour le théâtre qu’il sert avec une intransigeante éthique, Gilbert semblerait presque complice de son drame intérieur pour mieux lutter contre l’usure du temps et le vide laissé par la disparition de ses proches. Le monde finira pourtant par lui échapper, lâchant avec une douloureuse grâce « Je rentre à la maison » lors du tournage d’Ulysse, seule concession au cinéma accordée par l’acteur, pour Joyce dont il n’arrivera plus à dire les mots…
Loin d’un "cinéma pressé", le réalisateur d’Inquiétude prend son temps pour scanner l’âme de Gilbert, mais sans que jamais l’ennui ne s’installe. Là où on aurait pu craindre une perfusion de nostalgie crépusculaire, c’est de la malice en homéopathie qui permet à de petits actes superflus de refléter l’essentiel. Tel l’achat
d’une paire de chaussures, moment délicieux qui

aura son écho lors d’une scène impressionnante et culottée : un plan fixe sur les chaussures nouvellement acquises, dont les mouvements chargés de coquetterie donne le contrepoint abyssal de la conversation hors-champ entre Gilbert et son agent. C’est aussi l’image de Paris qui donne force et magie au parcours de Gilbert. Paris qui permet autant d’errances salvatrices que de rassurantes balades rituelles ; Paris qui
propose ses beaux quartiers luxueux et ses lumières féeriques, mais qui impose aussi ses endroits obscurs et menaçants. (Gilbert s’y fera braquer dans une scène irrésistible et devra ainsi faire également le deuil de ses chaussures…).
L’invention dans la mise en scène est de tous les instants. C’est dans le regard et les mimiques de John Malkovitch, sans contrechamp, que l’on suit les affres de la répétition d’un tournage. La représentation des pièces jouées par Gilbert Valence s’affranchit des plans habituels sur le public. Le travelling circulaire agit comme un tournevis sur la statue de la République, dont le "Liberté, égalité, Fraternité" renforce l’éthique profonde que respecte Gilbert dans sa vie personnelle et professionnelle. La passation entre le grand-père et son petit-fils à la fin du film, se fait dans un plan magnifique où Gilbert sort du cadre pour y laisser, seul et sans plus d’innocence, le jeune garçon qui devra quitter la maison…
Chaque année, Oliveira semble nous livrer son film testament. Il faut espérer qu’il tarde le plus possible à faire comme son personnage, pour nous offrir encore dans les années à venir ces grands plaisirs de cinéma.

Jean Gouny


1h30 - Portugal - Scénario et dialogues : Manoel de Oliveira - Images : Sabine Lancelin - Montage : Valérie Loiseleux - Décors : Yves Fournier - Interprètes : Michel Piccoli, Antoine Chapey, John Malkovich, Leonor Silveira, Catherine Deneuve.

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