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L'Agenda du 60e Festival - The Festival diary l Le Palmarès l Tous les Films - All the films
L'équipe de CinémaS
60e Festival de Cannes
du 16 au 27 mai 2007

 

 

 

 

 

La question humaine

Le très abouti opus du même nom, signé Nicolas Klotz et présenté par la Quinzaine des réalisateurs, est tout indiqué pour servir de fil conducteur au panorama de cette 60e édition du Festival de Cannes.
Que reste-t-il d'une l'humanité copieusement laminée et désespérément niée au fil des époques, sous prétexte d'efficacité et de rentabilité ? En témoignent l'anti-système de santé américain, dont Michael Moore fait, avec Sicko, l'inquiétant constat ; nos sociétés, entrées de plain-pied dans L'Age des ténèbres et démunies devant la disparition du lien social qui leur servait de ciment ; une civilisation tout entière anéantie par les interdits (Persepolis) ; une Amérique triomphante, où beaucoup doivent se contenter de la survie pour seul horizon (Chop shop) ; l'exil en son propre pays (Cartouches gauloises) ; le territoire d'un conflit inique (Alexandra).

Belles toujours
C'est encore d'humanité que nous parle De l'autre côté, film majeur de la sélection officielle, mettant en scène parmi six personnages, quatre femmes – mère ou filles – d'exception. Mais aussi – tant le terme de solidarité semble ici bien trop terne et étriqué – Otilia, la fille seule du justement palmé 4 mois, 3 semaines et 2 jours.
Dans un registre moins universel quelques caractères féminin retiennent particulièrement l'attention : Camille, à travers son cheminement vers un deuil déguisé, à qui Catherine Deneuve donne une dimension atypique dans Après lui ; Barbara – alias la flamboyante Julianne Moore – qui, dans Savage Grace, revisite avec virtuosité le complexe d'Œdipe.
Le cinéma coréen nous offre quant à lui deux spécimens de la gent féminine quelque peu borderline, avec la belle vengeresse de Souffle et Shin-ae Lee dans Secret sunshine, rôle pour lequel Do-yeon Jeon emporte le prix d'interprétation.
Tandis que de drôles de dames s'éclatent littéralement sur le Boulevard de la mort, d'autres franchissent les limites : allègrement en ce qui concerne la visiteuse incarnée par Béatrice Dalle, très inspirée par la maternité dans A l'intérieur, beaucoup plus douloureusement pour Anne (Victoria Trauttmansdorff) – et encore plus pour son malheureux époux – dans le radical et très réussi Vis-à-Vis.

Tant qu'il y aura des hommes
Les hommes quant à eux se distinguent au sein de fratries, violemment opposées, souvent dévastatrices : le fort Jakub (Adrien Jolivet) et le faible Vladimir (Grégoire Leprince-Ringuet), enrôlés dans les cosaques et en butte aux Voleurs de chevaux ; le teigneux Accio (Elio Germano) et le beau Manrico (Riccardo Scamarcio) dans le duel facho contre coco, que met en présence Mon frère est fils unique ; le voyou Bobby Green (Joaquin Phoenix) et le flic Joe Grusnsky (Mark Wahlberg) du magnifique opus de James Gray, La Nuit nous appartient.
Il serait ici injuste de ne pas faire un détour par les superbes prestations de trois de nos acteurs nationaux, qui se rencontrant et se croisant au gré des films, ont brillamment affiché leur talent : en tête l'incontournable Mathieu Amalric, ex de la bande à Desplechin avec trois films (La Question humaine, Le Scaphandre et le papillon, Actrices), puis Louis Garrel de la bande à papa et de la bande à Honoré (Actrices et Les Chansons d'amour), enfin le toujours excellent Patrick Chesnais, de la bande à part tant sa filmographie est impressionnante (Le Scaphandre et le papillon, Héros).
Des hommes, il en faut aussi pour incarner les pères : leur douloureuse absence dans Tehilim ou leur trop pesante présence à l'occasion des Retrouvailles entre Marco (prometteur Nicolas Giraud) et Gabriel (épatant Jacques Gamblin).
Il arrive aussi que les héros soient fatigués : il y a de quoi pour le shérif Bell (remarquable Tommy Lee Jones) face au killer (époustouflant Javier Bardem) de No country for old men ; la vaine traque du Zodiac laisse quant à elle de profondes séquelles chez le trio malheureux (Jake Gyllenhaal, Mark Ruffalo, Robert Downey Jr.) judicieusement réuni par David Fincher.

De la fragilité de l'être
Les destins peuvent aussi se croiser par le fait du hasard, tels ceux de Batya, Keren, Joy et autres antihéros des Méduses, déstabilisés par les aléas de leurs vies apparemment ordinaires ou encore dans le très différent et atypique Import Export d'Ulrich Seidl. Côté des artistes, terreau propice à la fragilité, quatre films viennent témoigner de la perte de contrôle dans des registres fort différents : Actrices, où Marcelline (Valeria Bruni Tedeschi) court vainement derrière le temps perdu ; Control, celui qui échappera avec fulgurance à Ian Curtis (Sam Riley) ; Avant que j'oublie, où, hors les souvenirs, tout fout le camp pour Jacques Nolot ; Héros enfin, que Pi (Michaël Youn) parviendra à être le temps d'un foldingue pétage de plomb. Tandis que, tout en douceur, l'étau se resserre autour du jeune Alex, skateur du Paranoid park, et de son terrible secret.
Encore en enfance (Mutum) ou s'y étant attardé (Garage), la campagne – brésilienne ou irlandaise – peut être, pour Thiago comme pour Josie, le théâtre d'un décalage brutal et pervers avec monde des adultes.
Souvent seul face à sa différence, l'être aura à se battre contre diverses formes d'altérité : cet autre sexe que l'on n'a pas voulu (XXY), ces amis invisibles aux autres qui viennent vous visiter (L'Orphelinat), cet autre moi dérangeant qui s'invite dans votre vie tranquille (Zoo), cette autre personnalité enfin qui ne se révélera qu'à la faveur de circonstances extrêmes (Le Scaphandre et le papillon).

Les pavés de l'anamour
Face à l'amour-regrets, l'éternel thème de l'amour à trois – homme, femme et maîtresse – s'illustre avec la légèreté de Christophe Honoré (Les Chansons d'amour), le tourment de Carlos Reygadas (Lumière silencieuse), la passion assagie de Catherine Breillat via celle, très vivace, de la Vellini (Une vieille maîtresse). A quoi ça sert l'amour ? Pour répondre à la question posée en son temps par Piaf sur l'amour éternel, Wong Kar-wai donne la parole à Norah Jones et à l'immense chagrin dont les Blueberry nights d'Elisabeth auront raison, tandis que Lola Doillon place le curseur au niveau des tout jeunes, à la naissance du processus amoureux, quand se pose la seule et unique question qui vaille d'être posée : Et toi t'es sur qui ?

Eastern et western flingueurs
Ceux-là sont sur des coups d'un tout autre genre, déjantés côté Hong Kong avec l'inédite partition en Triangle de Tsui Hark, Ringo Lam et Johnnie To, carrément sismiques côté Vegas, à nouveau investi par Steven Soderbergh et théâtre de tous les excès du clan Ocean's 13.

De cette peinture d'un monde contemporain qui nous frustre de nos émotions et, reléguant au second plan l'essentiel, nous fait passer à côté de nous-mêmes et des autres, subsiste une persistante emprise du deuil et des images de chairs meurtries, la place prépondérante qu'y prennent les livres, la poésie et les mots interdisant toutefois de désespérer définitivement du genre humain. Tandis que, pour finir sur une note d'humour et n'en déplaise aux nouvelles technologies envahissantes, on peut confirmer que le bon vieux scotch d'emballage en polypropylène – attention le coloris “havane” est en voie de disparition – ayant une fois de plus prouvé son efficacité en maintes circonstances, il a été élu produit de cette année festivalière 2007.

Marie-Jo Astic