Samouni Road
de Stefano Savona
Quinzaine des Réalisateurs
Œil d'or






Paradis perdu

Archéologue de formation, Stefano Savona s'était fait connaître avec Tahrir, place de la Libération, documentaire sur la révolution égytienne. Samouni Road confirme l'intérêt du cinéaste pour les événements internationaux majeurs, se focalisant ici sur une famille palestinienne dont une grande partie des membres a été tuée lors de l'opération « Plomb durci » menée par l'armée israélienne en janvier 2009. En représailles contre les tirs de roquettes envoyées par le Hamas pendant plusieurs mois, cette riposte de choc et disproportionnée, condamnée par la communauté internationale, est donc au cœur du présent film. Samouni Road se veut à la fois un travail d'historien tout autant qu'une œuvre de haute ambition artistique. Ce n'est pas en tout cas un film militant antisioniste ou manichéen. Stefano Savona s'est basé sur les témoignages des Samouni (dont une petite fille qui ouvre le film dont elle s'avère être le personnage principal), les rapports du Comité international de la Croix-Rouge, et les résultats d'une enquête militaire interne ordonnée par le gouvernement israélien en 2010. La force du métrage est l'alternance d'entretiens avec les survivants et la présentation de scènes d'animation (en 2D et 3D) réalisées par le cinéaste et illustrateur Simone Massi, pour l'évocation des pires souvenirs de la famille. En ce sens, Samouni Road adopte la même démarche que trois autres films présentés à Cannes 2018, à savoir Chris the Swiss de Anja Kofmel, Another Day of Life de Raúl de la Fuente et Damian Menow, ainsi que, à un moindre degré, Le Procès de Mandela et les autres de Nicolas Champeaux et Gilles Porte.

« Les séquences d’animation font revivre un quartier qui a réellement existé et aussi les membres charismatiques de la famille qui ont péri dans le massacre. Il était donc essentiel pour moi que le film reconstitue précisément et presque archéologiquement les maisons, la mosquée, les vergers, ce paradis perdu dont parlent les protagonistes du film », a précisé le réalisateur. On est ici sidéré de voir qu'un État malgré tout démocratique ait pu s'en prendre à de paisibles civils vivant dans ce qu'eux-mêmes décrivent comme un éden au calme rassurant. Même si le gouvernement israélien de l'époque a pu parler de regrettable effet collatéral ou de bavure imputable à des militaires extrémistes, le mal a été fait et il s'agit bien d'un véritable crime de guerre. Mais nul propos de haine ou de revanche dans la bouche de ces martyrs, la plupart apolitiques, et d'une rare dignité dans leur désir de reconstruction, dans tous les sens du terme. Car si les indemnités versées par l'ONU n'ont pu couvrir qu'une partie des dépenses, il a bien fallu bâtir dans l'urgence de nouveaux logements, et continuer à mener sa vie malgré les blessures insondables. Un mariage a même été prévu chez les cousins, et il est indispensable de perpétuer les traditions, y compris dans leurs aspects festifs, pour que la communauté puisse renaître de ses cendres. Un bien noble et beau documentaire, peut-être le plus abouti de la décennie avec Eau argentée de Ossama Mohammed et Wiam Simav Berdixan.

Gérard Crespo

 


2h08 - France, Italie - Film d'animation - Documentaire - Scénario : Stefano SAVONA, Léa MYSIUS, Penelope BORTOLUZZI - Production : PICOFILMS - Distributeur : JOUR2FÊTE.

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