Ayka
My Little One
de Sergey Dvortsevoy
Sélection officielle
En compétition
Prix d'interprétation féminine









La guerrière

Sergey Dvortsevoy avait été révélé en 2008 avec Tulpan, Prix Un Certain Regard, belle songerie filmée avec justesse et sobriété en territoire kazakh. Il n’avait rien réalisé depuis. Pour son retour au cinéma (toujours en sélection officielle cannoise, mais cette fois-ci en compétition), il a opté pour un récit se déroulant de nos jours dans un Moscou enneigé. Ayka est une jeune immigrée kighrize, dont les papiers ne sont plus en règle, et qui tente de survivre dans un monde sans pitié pour elle : elle est poursuivie et menacée par des mafieux à qui elle doit de l’argent, son projet de créer un atelier de couture a foiré, et elle peine à joindre les deux bouts en décrochant une série de jobs précaires et plus ou moins clandestins : on la voit ainsi trimer en tant qu’ouvrière dans une usine agro-alimentaire, employée au service du déblayage de la neige, ou femme de ménage nettoyant l’urine d’animaux mieux traités qu’elle dans un cabinet vétérinaire. Ayka est surtout contrariée par une grossesse non désirée. Aussitôt après avoir accouché, elle abandonne à l’hôpital le bébé qu’elle ne peut garder, prélude à une suite d’ennuis médicaux… Bien que ces éléments narratifs suggèrent une accumulation de tuiles pour la jeune femme, les déboires d’Ayka ne sont pas traités en mode misérabiliste. Dvortsevoy traque son personnage avec une caméra qui scrute sa détermination à s’en sortir davantage que ses moments de désespoir. Et l’ensemble brille par son épure et quelques ellipses qui permettent de contourner tout apitoiement et chantage à l’émotion. Le style emprunte certes beaucoup aux Dardenne, et d’aucuns feront le parallèle avec le scénario et la griffe de Rosetta. Il y est aussi question de vente de bébé, à l’instar de L’Enfant, et le film propose le même questionnement sur les migrants que Le Silence de Lorna.


De là à penser que le cinéaste kazakh ne fait que plagier l’univers des auteurs de La Promesse, il n’y a qu’un pas que nous nous garderons de franchir. Le cinéaste semble certes revisiter leur univers et appartient à la même tendance d’artistes mais il est davantage porté sur la fragmentation du récit, ne donnant que peu de clefs sur le passé de la jeune femme et structurant son histoire comme l’assemblement d’un puzzle. Par ailleurs, Ayka s’inscrit dans la mouvance d’un certain nouveau cinéma de l’Est : le réalisateur porte un regard sans concessions sur une société russe individualiste et condescendante envers les anciens ressortissants de l’Union soviétique. La froideur du constat et la sécheresse de la mise en scène rapprochent Dvortsevoy de cinéastes portés sur cette problématique, tels qu’Andreï Zviaguintsev (Faute d’amour) ou Kirill Serebrennikov (Le Disciple). Et l’on sera reconnaissant à Dvorsevoy d’avoir abordé le thème de la pauvreté en évitant le pathos de Capharnaüm de Nadine Labaki, et d’avoir signé une œuvre subtilement féministe, aux antipodes du lourdingue Les Filles du soleil d’Eva Husson, pour citer deux autres cinéastes de la compétition officielle 2018. L’œuvre est en outre bien servie par son interprète, Samal Yeslyamovan, que le cinéaste avait déjà dirigée par Tulpan. Au final, Ayka est une très bonne surprise. Souhaitons que son auteur n’ait pas à attendre à nouveau une décennie pour présenter son prochain film.

Gérard Crespo



 

 


1h40 - Russie, Allemagne, Pologne - Scénario : Sergey DVORTSEVOY, Gennady OSTROWSKI - Interprétation : Samal YESLYAMOVA.

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