Coup pour coup
de Marin Karmitz
Sélection officielle
Cannes Classics







« Cadences brisées, santé retrouvée »

Après Sept jours ailleurs et Camarades, il s’agit du troisième volet consacré par Marin Karmitz à la condition ouvrière. Les controverses suscitées par le film (qui fit peur aux exploitants et suscita l’ire des syndicats patronaux et de salariés) rendirent un temps son auteur persona non grata. Et si Karmitz connut par la suite une brillante carrière de producteur, de distributeur et d’exploitant indépendant, il ne réalisa plus jamais de longs métrages. Coup pour coup est typique de cette production post-soixante-huitarde donnant la parole aux prolétaires tout en remettant en cause les conditions de conception et de tournage des films. Épaulé par Evelyne July, égérie de mai 68, Marin Karmitz avait souhaité rencontrer des ouvrières du nord de la France pour les faire participer à un atelier de témoignage, de réflexion et d’écriture autour de leur vie en usine. Toutes n’avaient pas participé à une séquestration de patron, ni même à une grève, mais leurs échanges et suggestions ont abouti à une première mouture du scénario. Pendant le tournage, qui eut lieu dans un atelier désaffecté loué à bas prix par un entrepreneur, des discussions organisées en fin de journée permettaient de faire évoluer le récit, tout en gardant la trame principale. Soit donc des ouvrières d’une usine textile subissant les humiliations de la direction et des petits chefs, et organisant une rébellion explosive. Les syndicats sont dépassés par la tournure des événements, et les pouvoirs publics obligeront le patron pris en otage à céder à certaines revendications des salariées en colère. Inspiré de faits réels, ce « documenteur » s’inscrit dans le contexte d’une remise en cause d’un tayloro-fordisme devenu inadapté à son époque, avec sa hiérarchie bornée, ses tâches répétitives, son chronométrage oppressant et ses conditions de travail aliénantes. Si des conflits autour de cette organisation du travail éclatèrent dès sa création et son essor, et avaient pu être déjà abordés à l’écran (Les Temps modernes de Charles Chaplin), la saturation du système était à son comble dans les années 60 et 70. À cette dimension conflictuelle s’ajoute ici le fait que les revendications concernent des femmes, Marin Karmitz devenant le témoin d’une évolution sociétale majeure.

Doublement exploitées, ces ouvrières vont non seulement mettre leur direction dans la tourmente, mais aussi susciter l’embarras des délégués du personnel. Lors de la sortie du film, il n’avait pas été pardonné au réalisateur d’avoir mis dans le même panier la CGT, la CFDT et FO, donnant des syndicats une image policée et institutionnalisée : les élus syndicaux sont presque dépeints comme des collabos, confisquant la parole et appelant à cesser le combat dès la signature de ce que les ouvrières considèrent comme dérisoire, à savoir 5 % d’augmentation de salaires et une heure de travail en moins (ce qui soit dit en passant serait considéré comme révolutionnaire aujourd’hui !). Le film de Marin Karmitz flairait donc l’air du temps, tout en se plaçant délibérément dans le camp de ces femmes. Le meilleur du métrage réside dans son aspect semi-documentaire (la reconstitution d’un atelier de vêtements ou les moments de détente qui voient les grévistes se lâcher dans des chansons servant d’exutoire). On appréciera aussi le ton décalé et le filmage underground qui en font un document d’époque appréciable, et révélateur d’une période où l’on osait tout, en politique comme en art. Reste que sa rhétorique a un peu vieilli et que certaines séquences (le patron humilié à qui on jette un seau lorsqu’il veut se rendre aux toilettes) restent ambigües dans leur valorisation de la loi du talion. Les violences ne sont pas un dérapage mais un outil de la lutte des classes pour l’obtention de nouveaux droits face à l’oppression patronale. Sur une thématique voisine, Ressources humaines de Laurent Cantet ou En guerre de Stéphane Brizé seront bien plus percutants et nuancés que ce pamphlet courageux mais tenant davantage du théâtre de Guignol. Coup pour coup n’en demeure pas moins une œuvre représentative d’une démarche collective et engagée qui a insufflé un vent de liberté dans le cinéma français. Sa restauration effectuée par Éclair avec l’aide du CNC, a été supervisée par Marin Karmitz, honoré à l’occasion de la présentation du film à Cannes Classics. Et c’est bien entendu la société MK2 qui a assuré la ressortie du film dans les salles.

Gérard Crespo



 

 


1972 - 1h30 - France - Scénario : Marin KARMITZ - Interprétation : Élodie AVENEL, Marin KARMITZ, Jean-Pierre BARONSKY.

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