Mariana (Los Perros)
Los Perros
de Marcela Said
Semaine de la Critique











La Belle et la Meute

Mariana, quarante-deux ans, fait partie de cette haute bourgeoisie chilienne sûre de ses privilèges. Méprisée par son père et négligée par son mari, elle éprouve une étrange attirance envers son professeur d’équitation. Juan, un ex-colonel, suspecté d’exactions pendant la dictature. Cette liaison réprouvée va venir ébranler les murs invisibles qui protègent sa famille du passé… Marcela Said avait été révélée à la Quinzaine des Réalisateurs 2013 avec L’Été des poissons volants, son premier long métrage. Auparavant, elle avait réalisé trois documentaires à caractère politique dont I love Pinochet, étude du fascisme ordinaire au XXIe siècle. C’est que la cinéaste est sensible au thème des séquelles laissées par la dictature chilienne, et Mariana ne fait que poursuivre cette voie. On peut y déceler d’abord le portrait ambigu d’une Bovary de la banlieue chic de Santiago. Condamnée à jouer les potiches dans la villa cossue que lui a offerte son père, Mariana, ne trouve guère de réconfort auprès d’un époux affairiste qui s’obstine à lui faire suivre un traitement médical de lutte contre la stérilité, ne voyant en elle que la mère de ses futurs enfants. Délurée et rebelle, elle s’obstine à entretenir une amitié amoureuse avec un ancien militaire qui la respecte et honore sa féminité, mais est accusé d’avoir naguère porté atteinte aux droits de l’homme. Juan n’était-il qu’un fonctionnaire des services spéciaux ou peut-on le considérer responsable du sort de disparus ? Comment Mariana conciliera-t-elle son désir d’amour et d’indépendance et le respect de ses principes éthiques ?

Le scénario de Marcela Said est assez audacieux et évite la dramatisation et le schéma démonstratif du film à thèse. En ce sens, la réalisatrice est aux antipodes de la démarche de Costa-Gavras dans Music Box ou Luis Puenzo dans L’Histoire officielle, œuvres au demeurant recommandables. Elle ne cherche pas pour autant à s’immerger dans les eaux troubles d’une Liliana Cavani dont le controversé Portier de nuit fit couler beaucoup d’encre en son temps. Mariana est plutôt le récit complexe d’une femme encerclée par quatre hommes au tempérament aussi bien lisse que féroce : et le policier qui mène l’enquête sur Juan puis nouera avec elle une relation étrange n’est pas le moins mystérieux des personnages… « Malgré le fort ancrage contextuel du film, il s’agit d’une histoire qui n’est pas spécifiquement chilienne. L’idée que la valeur d’un homme ne peut pas être réduite à celle de ses actes est centrale », précise la réalisatrice. Sa dénonciation du patriarcat est incisive, mais à trop manier l’équivoque et la nuance dans son évocation de la mémoire chilienne, elle donne le sentiment de fuir elle-même un sujet qui la hante et de ne pas le traiter frontalement. Cette réserve n’empêche pas Mariana d’être une œuvre séduisante et épurée, à l’atmosphère oppressante, bien servie par Antonia Zegers et Alfredo Castro, deux acteurs dont on avait apprécié le talent dans les films de Pablo Larraín.

Gérard Crespo

 

 

 


 


1h34 - Chili, France - Scénario : Marcela SAID - Interprétation : Antonia ZEGERS, Alfredo CASTRO, Rafael SPREGELBURD, Alejandro SIEVEKING.

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