L'Amant double
de François Ozon
Sélection officielle
En compétition








La part de l'autre

Chloé (Marine Vacth) est une jeune femme fragile et névrosée. Elle décide de consulter et s'éprend de Paul (Jérémie Renier), son psychothérapeute. Peu de temps après, il s'installent ensemble, mais Chloé découvre que son nouveau conjoint lui a caché l'existence d'un frère jumeau. Ozon adapte ici un roman policier de Joyce Carol Oates. Sous l'apparence d'une étude psychologique déviant vers le thriller érotique chic, L'Amant double brouille les pistes et ne saurait s'apparenter à une enquête criminelle à tiroirs de type Basic Instinct de Paul Verhoeven ou à un labyrinthe narratif à la manière de Péril en la demeure de Michel Deville. Non que le cinéaste refuse les codes du film de genre (il en est même friand depuis Sitcom), et encore moins les références de cinéphile. Pêle-mêle, L'Amant double convoquera d'abord l'ambiance des récits de Roman Polanski, la dépression et les fantasmes de Chloé faisant écho à ceux de Mia Farrow dans Rosemary's baby, à qui le film d'Ozon emprunte aussi le personnage secondaire d'une voisine de palier curieuse (Myriam Boyer), lointaine cousine française de Ruth Gordon/Minnie Castevet. Des réminiscences de l'oncle Cronenberg imprègnent également l'écran, des instruments de gynécologie manipulés dès l'ouverture du récit au thème de la gémellité, ces deux aspects rappelant inévitablement Faux semblants/Dead Ringers. Mais on est bien avant tout dans un film de François Ozon, qui recycle des éléments explorés dans son œuvre antérieure.

Les doutes de Chloé et son travail de deuil s'avèrent similaires au désarroi de Charlotte Rampling dans Sous le sable, la mise en abyme induite par les projections mentales sont dans la lignée de Swimming pool, le jeu sur l'identité sexuelle complète les ambiguïtés déployées dans Ma meilleure amie, et le désir de braver les interdits évoque l'expérience de la jeune héroïne (déjà Marine Vacth) de Jeune & jolie. « La subjectivité dans laquelle nous plongent les dix premières minutes du film contamine le reste de l’histoire. L’idée était de suivre Chloé de manière linéaire et dans une tension narrative en jouant sur une forme de suspense, mais d’être ancré dans une réalité vacillante, avec des moments de décrochages mentaux, fantasmatiques. Ce qui me permet de ne pas être dans un registre de réalisme pur et de flirter sans cesse avec l’imaginaire du personnage. De même j’aimais l’idée que le danger et la menace extérieurs qu’elle ressent se révèlent un mal intérieur ». Ces propos du réalisateur éclairent ses intentions. Vaine et superficielle, la démarche de François Ozon ? Que nenni. Maniant les ellipses avec un art consommé de la narration, jouant sur les frayeurs inconscientes du spectateur, se permettant un retournement de situation brillant qu'on ne saurait réduire à une pirouette de scénario, Ozon livre peut-être le meilleur de lui-même. Après le classicisme élégant et fascinant de Frantz, son précédent long métrage, le réalisateur continue de nous surprendre par son plaisir de s'aventurer dans des eaux troubles.

Gérard Crespo


1h50 - France - Scénario : François OZON, d'après le roman "L'Amour en double" de Joyce Carol Oates - Interprétation : Marine VACTH, Jérémie RENIER, Jacqueline BISSET, Myriam BOYER, Dominique REYMOND.

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