L'Ultima spiaggia
La Dernière plage
de Thanos Anastopoulos & Davide Del Degan
Sélection officielle
Hors compétition

Séance spéciale








Un espace atemporel et métaphysique

À Trieste, ville italienne à proximité de la Slovénie, la plage très populaire du Pedocin est l’une des dernières en Europe à séparer les espaces des hommes et des femmes par un mur de béton… Les deux réalisateurs n’ont pas choisi de placer leurs caméras par hasard. David Del Degan a fréquenté cette plage quand il était enfant, il a donc souhaité « raconter ce lieu bizarre et unique, suspendu dans le temps et dans l’espace ». Un lieu inconnu à Thanos Anastopoulos mais qui lui a rappelé son enfance et l’idée « d’un groupe de personnes qui se rencontrent sur une plage ». Afin de bien cerner leur sujet, les deux documentaristes ont, au préalable, fixé des règles de travail communes durant les cent vingt jours de tournage : être toujours ensemble, éviter les interviews, ne rien provoquer. Il s’agissait pour eux de passer du temps dans cet endroit et par là même d’observer une « tranche d’humanité », sans apporter aucun jugement. Le résultat est tout simplement étonnant à l’écran. Alternant des scènes féminines et masculines, les cinéastes réussissent à dresser le portrait d’une multitude de personnages au passé et aux origines différents et surtout à les rendre familiers aux spectateurs. C’est une microsociété que l’on observe de part et d’autre de ce mur, symbole de séparation mais aussi vécu par les gens de Trieste comme un signe de liberté absolue et revendiquée.

En creux, ce documentaire très riche brasse avec intelligence beaucoup de thèmes : l’histoire si particulière de la ville de Trieste, ancien port austro-hongrois (utilisation d’images d’archives pour rappeler la situation frontalière et cosmopolite de cette cité), l’immigration et la question de l’identité (par le biais de l’attachement aux langues et cultures d’origine, ou au dialecte triestin qui semble en voie de disparition). Autant de sujets de société très actuels et auxquels donne à réfléchir cette œuvre. Mais ce qui fascine et séduit le plus ici, c’est cette humanité qui se dégage de ces anonymes (prolétaires, vendeuses, employés, bourgeoises, directeurs de banque), et cette impression de partager avec eux des moments intimes : on les voit ainsi discuter du monde et se disputer, évoquer parfois des souvenirs douloureux, mais aussi s’amuser, chanter et danser. On pourrait peut-être regretter quelques longueurs dans ce joli documentaire et l’abus de scènes subaquatiques mais elles s’intègrent parfaitement dans la démarche du film : prendre le temps afin de mieux s’attacher à ces personnages hauts en couleur, séparés certes par un mur mais au final réunis dans une sorte de huis-clos, un espace habité mais « atemporel et métaphysique », comme le suggèrent leurs auteurs.

Xavier Affre


2h15 - Grèce, Italie - Documentaire

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