Les Contes de la lune vague après la pluie
Ugetsu onogatori
de Kenji Mizoguchi
Sélection officielle
Cannes Classics







Le conflit des désirs

Le Japon au XVIe siècle. Deux couples de paysans sont pris dans la guerre civile et partent pour la ville. Kenjuro le potier rencontre la princesse Wakasa au marché et en tombe éperdument amoureux. Elle l’entraîne dans son manoir. Mais Kenjuro apprendra à ses dépens à ne pas se fier aux apparences. Quant à Tobeï le paysan, abandonnant sa femme qui finira prostituée, il cherche à devenir samouraï pour se couvrir d’une gloire factice... Le film fait partie des œuvres les plus connues de Mizoguchi, produites par Masaichi Nagata à la Daiei dans les années 1950. Si le cinéaste avait déjà abordé le film à costumes dans sa période antérieure (Contes des chrysanthèmes tardifs), il atteint ici une plénitude qui constitue l'apogée de son art. Adapté de nouvelles littéraires, Les Contes de la lune vague après la pluie est d'abord un beau récit croisant réalisme et fantastique. Les mirages dont sont victimes Kenjuro et son beau-frère Tobeï ne sont perçus comme tels que rétrospectivement, aussi bien par les personnages que le spectateur. Il en résulte un décalage vertigineux qui contraste avec le film traditionnel de fantômes : ces contes sont ainsi plus proches de la mise en abyme déployée par Alejandro Amenabar dans Les Autres que de la poésie féérique du Mankiewicz de L'Aventure de Mme Muir. L'autre qualité du film est une critique à peine voilée de la société japonaise de son temps, Mizoguchi ayant souvent privilégié le film d'époque pour contourner la censure. L'esprit belliqueux de Tobeï et la rapacité de Kenjuro illustrent aussi bien l'arrogance militaire des Japonais pendant la guerre que l'envers du décor de la décennie suivante (un miracle économique en trompe-l’œil).

Par ailleurs, si la société féodale et ses hiérarchies fermées révélaient une sclérose dans l'ascension sociale, le Japon d'après-guerre était certes démocratique et égalitaire mais n'en comprenait pas moins des laissés-pour-compte. Les femmes sont ici en première ligne des exclues, réduites à la domesticité, la maternité ou la prostitution. Mais il serait réducteur de ne voir que cette vision du film. Les Contes de la lune vague après la pluie frappe par l'intransigeance et le perfectionnisme de son auteur, qui utilise les costumes, décors et accessoires pour créer un véritable pouvoir hypnotique. Sa caméra dessine des plans qui évoquent l'art pictural des maîtres de l'estampe. « Peu d'effets de caméra, de travellings, mais soudain, quand ils jaillissent en cours de plan, ils ont une fulgurante beauté », écrivait Jean-Luc Godard, grand admirateur du cinéaste. Refusant l'anecdote et le pittoresque, Mizoguchi mise sur la sobriété et l'épure, loin de la démarche baroque et spectaculaire d'Akira Kurosawa ou de l'émotion contenue de Yasujirô Ozu. Le film est bien servi par ses interprètes dont la fascinante Machikyo Kyo en princesse spectrale et la délicate Kinuyo Tanaka, que le cinéaste avait déjà dirigée dans La Vie d'O'Haru femme galante. Martin Scorsese a été à l'initiative de la restauration numérique réalisée par The Film Foundation et Kadokawa Corporation aux Cineric Laboratories.

Gérard Crespo



 

 


1953 - 1h37 - Japon - Scénario : Yoshikata YODA, Matsutarô KAWAGUCHI, d'après deux nouvelles d'Akinari UEDA - Interprétation : Machiko KYÔ, Masauki MORI, Kinuto TANAKA, Eitarô OZAWA, Ikio SAWAMURA.

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