Visite ou Mémoires et confessions
Visita o Memórias de Confissões
de Manoel de Oliveira
Sélection officielle
Cannes Classics


Sortie en salle : 6 avril 2016




Le mystère d'Oliveira

Manoel de Oliveira nous convie une dernière fois pour une visite sous le signe du cinéma et de la vie. Non pas une virée sépulcrale, mais une ode à la création toute contemplative.

« Le cinéma n’est pas un art. Le cinéma n’est pas la vie. Mais il se situe justement entre les deux ». En choisissant d’appliquer cette citation attribuée à Jean-Luc Godard aux maisons et à l’architecture en général, Manoel de Oliveira pose les bases d’une structure à entrées multiples. Ainsi, une maison intègrerait son lot de pièces : secrètes, intimes, sociales ou encore publiques. Sur ce modèle, le film Visite ou Mémoires et confessions se présente comme un espace où la confidence et le public s’entremêlent en un dédale énigmatique. Nous sommes en 1982. Alors âgé de 73 ans et auteur de six longs métrages, Oliveira s’essaye au film testamentaire. L’exercice pourrait prendre une tournure sinistre, mais il n’en est rien : le maître portugais s’adresse au spectateur avec sérénité, en une sorte d’hymne à l’existence et au cinéma. Une oraison psalmodiée depuis la maison où il a passé quarante années de sa vie - demeure dont il doit alors se séparer pour des raisons financières.
Pour articuler ce voyage méditatif et presque métaphysique dans les méandres d’une vie tentaculaire, Oliveira choisit l’allégorie d’une demeure que le spectateur serait venue visiter. Deux axes sont de cette manière tissés pour pénétrer le labyrinthe : d’un côté, le spectateur est convié à entrer par effraction dans la maison, belle et cossue bien que vieillissante. L’occasion de glaner avec deux personnes invisibles et dont seules les voix sont perceptibles, quelques secrets possibles de la vie d’Oliveira. Les visiteurs anonymes s’avancent dans l’inconnu, au gré des craquements des vieux parquets. D’un autre côté, parallèlement, le cinéaste nous convie en personne comme s’il s’adressait à un ami. Face à la caméra, celui-ci se met en scène pour nous conter quelques moments de son existence. Une manière aussi de glisser quelques conseils que ce dernier a pu tirer de ses expériences passées. Dans ce contexte, un souvenir particulier donne parfois lieu à une mise en scène spécifique, où la caméra s’enfonce pour donner à ressentir l’espace évoqué, à la recherche d’un temps révolu.

Inutile de chercher dans ce dispositif la formule qui permettrait de relier tous ces intervalles les uns aux autres, de recomposer le puzzle pour comprendre l’énigme Oliveira. L’univers du réalisateur, et plus généralement tout son rapport à l’existence, se veut un monde protéiforme et inconstant. Inter-monde où les plans seraient des univers à eux-seuls et ne pourraient jamais être raccordés les uns aux autres. En cela, Visite perpétue le mystère d’Oliveira tout en semant avec habileté et pudeur quelques bribes de vie - voir les magnifiques plans de sa femme Maria Isabel au jardin, à laquelle il dédit le film, ou ces séquences embrassant les arbres centenaires du parc adjacent. Fascinant pour le reste de voir à plusieurs reprises le réalisateur plein champ actionnant un projecteur de cinéma dirigé droit vers le spectateur, tandis qu’il rapporte dans le même temps avec assurance un détail de sa trajectoire personnelle. Projetant directement un film imperceptible sur l’observateur, Oliveira met en abyme et notre regard et le caractère insaisissable de son cinéma. Coup de génie tout en modestie où l’artiste préfère s’effacer derrière la saudade, souvenir d’un bonheur pas tout à fait perdu encore. Et pour cause : vingt-quatre autres films, souvent exceptionnels, suivront plus tard dans sa filmographie, jusqu’à sa mort en avril 2015.

Plus qu’une épitaphe, Visite ou Mémoires et confessions illustre quelque part admirablement une pensée de Gaston Bachelard, pour qui « la maison est un corps de songe ». Façon pour Oliveira de proclamer une dernière fois que l’imagination créatrice doit nécessairement en passer par le concret, et que les images peuvent à elles seules redoubler le réel. Un bien bel encouragement pour les cinéastes d’aujourd’hui.

Alexandre Jourdain

En collaboration avec le site aVoir-aLire


 

 


1982 - 1h08 - Portugal - Documentaire

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