Taklub
Thy Womb
de Brillante Mendoza
Sélection officielle
Un Certain Regard

Prix du Jury œcuménique : mention spéciale


Sortie en salle : 30 mars 2016




« L’honnêteté et la vérité sont mes principales sources d’inspiration artistique »

À cette déclaration faite lors d’un entretien par Brillante Ma Mendoza, on pourrait rajouter que le réalisateur philippin est aussi et avant tout le porte-parole de la survie, clé de voûte d’une cinématographie pourtant foisonnante d’éclectisme, si l’on en juge par ses seuls films présentés à Cannes. Il s’y fait connaître en 2007 avec John John (Foster Child), histoire d’une adoption, révélé par la Quinzaine des Réalisateurs. Suivront, cette fois en compétition officielle, Serbis ou le quotidien tonitruant d’une famille résidant dans un cinéma porno, puis Kinatay, thriller tourmenté d’inhumanité sur la violence des gangs, qui lui vaut le Prix de la mise en scène en 2009.

Avec Taklub, la survie, apparentée à la lente agonie d’une population, est plus que jamais d’actualité, tout autant que l’audace filmique par laquelle Mendoza continue de mettre à mal les codes conventionnels du cinéma, ainsi que l’absence totale de complaisance, de voyeurisme, tout autant que de pathos, même si le sujet se prêtait plus que tout autre à ce genre d’écueils.

Si le film est une fiction assumée, il n’en n’est pas moins un documentaire implacable sur ces lendemains pas comme les autres que doit affronter un peuple sans cesse martyrisé par des catastrophes que l’on qualifie de naturelles. Sauf que cette fois-ci, ce 8 novembre 2013, le super typhon Haiyan (localement appelé Yolanda) a frappé encore plus fort, emportant plus de 7 500 vies et laissant des millions de personnes dans la désolation, à l’image de ce bord de mer ravagé, autrefois paradisiaque et devenu un enfer.

Année Yolanda + 1… Nous sommes à Tacloban, ville principale des Visayas orientales, et plus précisément au baranggay Sand Beach, bien ‘re’nommé « Tents city ». Pour nous guider au milieu de ce chaos, Leonora Lariosa, alias Bebeth (Nora Aunor, tout en sensibilité), sert de fil rouge, sauf lorsque celui-ci se rompt brusquement en croisant la route de Larry, son ex-compagnon, ou celle du jeune Erwin, pour se renouer un peu plus tard et se briser à nouveau.

Il fait nuit et une lampe à pétrole vient d’embraser accidentellement l’une des tentes, d’où sont extraits deux corps calcinés, dont celui d’un enfant. À l’épaule, la caméra, sans cesse en mouvement, palpite au rythme des gyrophares des ambulances, oscillant d’une horreur à l’autre, se refusant à privilégier celle-ci plutôt que celle-là. Le talent de Mendoza se révèle ici une fois encore, qui nous livre des images dures, bouleversantes, en cette scène choc. Sans jamais se départir de son obsession de rester humble et respectueux des traumatismes profonds et indélébiles endurés par les rescapés échoués là, à l’instar de ces bateaux déposés sur les terres par les gigantesques vagues qui ont suivi les rafales de vent soufflant à plus de 350 km/h.

Églises et processions, tricycles et jeepneys, petits restaurants de style nipa hut, comme celui que tient Bebeth, tout le quotidien des Philippines est là, additionné d’un sentiment d’abandon (un an après, les autorités commencent à peine à mettre en œuvre le relogement des familles à condition qu’elle comprennent au moins cinq enfants !), de la peur des récidives (en moyenne vingt typhons ou tempêtes tropicales touchent l’archipel chaque année), des risques inhérents de tsunamis, des inévitables glissements de terrain, inondations et ensevelissements sous la boue.

 

Par dessus tout cela, il y a bien sûr l’acharnement viscéral à prier Dieu, seule et évidente planche de salut pour cette population catholique à 99 %. Mais même si la vie doit continuer, la mort n’en poursuit pas moins son inexorable chemin.

Distributions de riz, formalités au Bureau national des enquêtes de Tacloban City (baranggay San José) pour des tests ADN (dont il faudra attendre le résultat pendant un an) afin d’identifier les corps enterrés dans les fosses communes, Mendoza filme les survivants de très près, gros plans qu’il pratique également pour les gestes de ce qu’il reste de vie.

Chez Bebeth, des quatre mugs imprimés au nom et à l’effigie de ses enfants, un seul est encore « en service », celui de la grande sœur, ate en cebuano. D’où l’urgence avec laquelle elle recolle les morceaux de celui, tombé accidentellement, de Nono, puisqu’aujourd’hui c’est tout ce qui lui reste de tangible de son petit dernier.

Sur fond de colère ou de fatalisme, on continue pourtant de chanter et danser, voire de sourire, ou encore de se battre à mort pour le morceau de tôle qui pourrait constituer un bout de toit, mais aussi de s’interroger à propos de la nouvelle loi qui va obliger ce peuple de pêcheurs à s’installer au minimum 40 mètres à l’intérieur des terres.

Tout entier chevillé aux destinées humaines, l’auteur s’en tient aux faits et au constat, s’interdisant tout jugement politique. Si ce n’est qu’en proposant, dans la version sous-titrée pour l’étranger, Le Piège en guise de titre du film, il pointe la négligence – le mot est faible – qui a engendré tant de victimes. Au-delà de la référence à Tacloban, le mot taklub évoque en effet une sorte de filet de pêche. Il est important de noter que, après le plus puissant typhon de l’ère contemporaine, la leçon a quelque peu été entendue et que les choses semblent s’améliorer depuis deux ans : désormais les alertes sont données plus tôt, afin d’anticiper et mieux organiser les évacuations. Cependant le sacrifice du peuple philippin sur l’autel de Yolanda n’en reste pas moins terriblement exorbitant.

Il faut préciser que le nombre de typhons et tempêtes est, depuis quelques années déjà, en constante augmentation, que des îles vont être englouties (voir La Glace et le Ciel)… : après Taklub et cet hommage poignant tout autant que pudique aux victimes et aux survivants, Brillante Mendoza devrait s’emparer de ce thème, le dérèglement climatique, pour son prochain tournage, « avant qu’il ne soit trop tard… » dit-il. Preuve s’il en est que l’hôte de Puerto Princesa a encore la foi et ne baisse pas les bras.

Marie-Jo Astic

 



 

 


1h40 - Philippines - Scénario : Honeylyn Joy ALIPIO - Interprétation : Nora AUNOR, Julio DIAZ, Aaron RIVERA, Mercedes CABRAL, Lovi POE.

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