Qui vive
de Marianne Tardieu
Acid


Sortie en salle : 12 novembre 2014




Le choix de Chérif

Un travelling suit un paysage de province filmé d'un train régional. Un autre cerne un homme qui se dirige sur son lieu de travail. Comme tous les matins, Chérif, la trentaine, quitte sa cité des alentours de Rennes pour se rendre dans un centre commercial où il exerce l'activité de vigile... ou plutôt d'agent de sécurité, comme le vocabulaire professionnellement correct le désigne. Chérif a le regard et les traits désabusés de Reda Kateb, et signifie dès la séquence suivante à son chef qu'il souhaiterait être affecté à un autre poste. Chérif supporte mal ce job provisoire et prépare le concours d'infirmier. Son rêve est en effet d'échapper à la précarité et de suivre un idéal. Entre ses parents, chez qui il habite, ses potes de cité plus ou moins proches, et sa nouvelle petite amie (Adèle Exarchopoulos, plus sereine que dans La Vie d'Adèle), Chérif mène une vie sociale avec ses joies et frustrations mais semble garder la tête sur les épaules. Quand de jeunes loubards le prennent pour tête de Turc dans le supermarché, jusqu'à le harceler dans sa vie personnelle, Chérif pense voir sa destinée basculer...

Le premier long métrage de Marianne Tardieu s'inscrit a priori dans la veine d'un « cinéma de banlieue », décor et thème de nombreuses fictions depuis une trentaine d'années, depuis Le Thé au harem d'Archimède, réalisé par Mehdi Charef en 1985, au récent Bande de filles, dont on a dit ici le plus grand bien.

Marianne Tardieu (et sa coscénariste Nadine Lamari) partagent avec Céline Sciamma le goût de la distance stylistique, tout en assumant le caractère forcément sociologique du récit.

Si le parcours de Chérif incarne un certain déterminisme, de par son passé et son réseau social qui le rattrapent alors qu'il aspire à une autre vie, le film est tout sauf démonstratif et se sert d'un matériau déjà vu à l'écran pour explorer des pistes narratives inédites. Une audacieuse ellipse lors d'un interrogatoire de police, et le film emprunte alors un chemin que l'on n'attendait pas, tout en proposant un cas intéressant de conflit moral. On perçoit alors que la cinéaste use des clichés et des codes pour mieux les contourner. Là est la clé de la réussite de ce film qui aurait pu lui aussi décrocher une Caméra d'or, dans une sélection cannoise 2014 riche en révélations. Il faut aussi souligner que les acteurs sont impeccables. De Serge Renko en patron faussement hautain et profondément humain à Rashid Debbouze en caïd charmeur, en passant par Alexis Loret et Guillaume Verdier (ex-premiers rôles pour Téchiné ou Doillon), tous tirent leur épingle du jeu. Mais la palme revient à Reda Kateb dont le personnage fait écho à celui du jeune interne qu'il incarnait dans Hippocrate. On l'a beaucoup vu au cinéma ces derniers temps et il illumine chacune de ses apparitions, y compris lorsqu'il n'a que quelques scènes, comme dans Lost River. Qui vive lui offre peut-être son meilleur rôle à ce jour.

Gérard Crespo

 

 


1h23 - France - Scénario : Nadine LAMARI, Marianne TARDIEU - Interprétation : Reda KATEB, Adèle EXARCHOPOULOS, Rashid DEBBOUZE, Moussa MANSALY, Alexis LORET, Serge RENKO, Guillaume VERDIER.

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