Le Challat de Tunis
de
Kaouther Ben Hania
Acid


Sortie en salle : 1er avril 2015




« Comment remuer la plaie autour du couteau… »

Le Challat de Tunis fait partie de ces films habillement qualifiés de « documenteurs », d’une forme hybride et originale, entre le documentaire (dont vient la réalisatrice qui avait réalisé Les Imams vont à l’école en 2010) et la fiction.

Ici, il s’agit de revisiter un mythe urbain, une variation sur la rumeur, qui, comme toute rumeur, naît d’un événement réel :
En 2003, à Tunis, un homme parcourt les rues à moto, une lame de rasoir à la main. Il entaille les fesses les plus « à l’air » des passantes trop légèrement vêtues qui arpentent les trottoirs. Une douzaine de victimes est alors recensée ; un suspect arrêté… et puis l’affaire semble classée alors que d’autres faits équivalents continuent de se produire et le Challat (la lame) de Tunis reste la hantise des jeunes femmes « libérées » des quartiers de la capitale.

Le récit se situe une petite dizaine d’années plus tard, après la révolution. Une jeune réalisatrice, entêtée et peu frileuse des yeux… mène son enquête afin d’élucider ce mystère en retrouvant d’anciennes victimes et d’éventuels coupables, frappant à toutes les portes, y compris celles de prison !

L’originalité et la richesse du film de Ben Hania ne sont pas moins dans le propos que dans sa forme. Satire sociale à la fois espiègle par les personnages aussi complexes que truculents et pamphlétaire sur un machisme oriental plein de contradictions, le récit nous malmène et nous promène malicieusement, ne nous donnant jamais l’assurance d’être du côté d’un vrai témoignage ou d’une habile reconstitution. Cette mise en scène, usant constamment de la présence de la réalisatrice et de sa caméra ainsi que de son chef opérateur, pourrait n’être qu’un procédé, avec un agacement assuré à terme. D’une part, la forme est ici totalement cohérente avec le fond qui nous interroge sur une légende urbaine et, d’autre part, la réalisatrice propose avec un talent assez fou une adroite alternance entre réflexions profondes et séquences totalement jubilatoires (le casting des Challats par exemple) qui laisse de côté chez le spectateur toute volonté de démêler les faux acteurs des vrais personnages…

La photo (le chef opérateur est Sofian El Fani qui a éclairé la lumineuse Vie d’Adèle) et la musique (Benjamin Violet et Si Lemhaf) ne sont pas étrangers à la poésie qui émane de cette comédie inclassable, surprenante et réjouissante.

Jean Gouny

 

 


1h20 - Tunisie, France, Canada, Émirats Arabes Unis - Scénario : Kaouther BEN HANIA - Interprétation : Jallel DRIDI, Mohamed Slim BOUCHIKA, Narimène SAIDANE.

ACCUEIL

RETOUR A LA LISTE DES FILMS