Monte là-dessus
Safety last
de Sam Taylor, Fred Newmeyer
Sélection officielle
Cannes Classics








Le jeune homme aux lunettes d'écaille

Les réputations de cinéma offrent parfois de curieuses destinées. De son vivant, Harold Lloyd (1893-1971) était considéré comme l'égal de Chaplin et Keaton, même s'il a rarement réalisé ses films. Extrêmement populaire, même après l'arrivée du parlant où il connut pourtant une régression artistique, il n'a jamais subi les déboires de Chaplin avec les grands studios ou les ligues de moralité, ni la déchéance d'un Keaton sombrant dans l'alcoolisme et l'oubli pendant trois décennies. Harold Lloyd a terminé son existence célèbre et prospère, dans son palace de Beverly Hills... Depuis sa mort, on le considère comme un artiste mineur en comparaison de l'œuvre foisonnante des auteurs des Temps modernes ou du Mécano de la General. Et pourtant, sa filmographie regorge de trésors à redécouvrir, à l'image de cette bande burlesque, chef-d'œuvre de drôlerie et d'imagination visuelle, qui est sans doute son film le plus célèbre. Harold Lloyd y peaufine son image de séducteur timide, « jeune homme aux lunettes d'écailles » et au canotier, silhouette sobre et élégante d'une efficacité redoutable. Il incarne ici un naïf venu à Los Angeles pour faire fortune, mais qui stagne dans un emploi de petit vendeur. Il a alors l'idée de proposer à son patron de faire de la publicité au magasin en faisant escalader la façade par un ami acrobate. Mais c'est lui qui devra s'y coller...

Le scénario, auquel a collaboré Hal Roach, personnalité incontournable du burlesque américain, est d'une précision et d'une finesse caractéristiques d'un certain cinéma comique à la fois industriel et subtil, ce même cinéma qui assurera le succès de Laurel et Hardy à leur sommet.

Une note sentimentale est apportée avec le personnage de la douce Mildred Davis, à la ville l'épouse de Harold Lloyd, et qui a été la vedette de ses films de la période 1919-1923.

Mais on est surtout stupéfait par l'intelligence des gags et la qualité technique de Monte là-dessus. Dès la première séquence, le tour est gagné avec un plan en trompe-l'œil, qui peut laisser croire que Harold est condamné à mort et attend son heure de pendaison, quand il se trouve en fait sur un quai de gare en compagnie d'un contrôleur, de sa vieille mère et de sa fiancée. Le brio se poursuit avec le couffin d'un enfant noir qu'il emporte par inadvertance, puis, plus tard, par la fulgurante course d'une ambulance à travers la ville, qui a dû procurer bien des frissons aux spectateurs de l'époque. Le clou du récit reste cependant l'ascension du magasin, moment d'anthologie du cinéma, qui mêle avec bonheur jeu d'acteur influencé par l'acrobatie et le cirque, suspense d'action et humour irrésistible, à l'image du plan où Lloyd est assailli par des pigeons attirés par des miettes de pain. On voit aussi dans ce dernier quart d'heure le talent de gagmen de Sam Taylor et Fred Newmeyer, les deux metteurs en scène, chefs d'orchestre inspirés d'un tournage qui n'a pas dû être de tout repos. On ne peut que louer le Festival de Cannes d'avoir programmé ce bijou dans le cadre de son désormais rituel Cinéma de la Plage.

Gérard Crespo


 

 


1h10 - États-Unis - 1923 - Scénario : Hal ROACH, Sam TAYLOR, Tim WHELAN - Interprétation : Harold LLOYD, Mildred DAVIS, Bill STROHER.

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