Jour de fête
de Jacques Tati
Sélection officielle
Cannes Classics



Sortie en salle : 24 juillet 2013




Le facteur tombe toujours deux fois

Jour de fête est le premier long métrage réalisé par Jacques Tati. Il en avait préparé une ébauche avec son dernier court-métrage, L'École des facteurs (1947). Le film a été tourné en noir et blanc et en couleurs, mais seule une exploitation en noir et blanc avait été techniquement possible. En 1987, Sophie Tatischeff, la fille du cinéaste, a pu contribuer à une restauration qui a permis la distribution en 1995 d'un Jour de fête en couleurs. C'est une nouvelle restauration depuis le négatif qui a été présentée cette année à Cannes Classics à l'initiative des Films de mon Oncle. Les distributeurs de l'époque avaient été effrayés par la nouveauté de l'œuvre et il aura fallu le succès d'une projection privée dans une salle de Neuilly pour qu'ils acceptent une diffusion commerciale. Jour de fête fut un triomphe pour Tati, en tant que réalisateur et acteur.

L'action se situe au petit village de Saint-Sévère qui s'apprête à recevoir une fête foraine. Tout le monde se réjouit, sauf François, le facteur, qui n'y voit qu'une série d'entraves à sa tournée. Quand il voit dans une baraque un documentaire sur l'équipement moderne des postes aux États-Unis, avec hélicoptères et entraînement sportif, c'en est trop : il décide alors le lendemain de s'élancer sur son vélo pour une « tournée à l'américaine ». Tout Tati est dans ce premier film. L'acteur invente ici sa silhouette burlesque qui anticipe Monsieur Hulot, son personnage emblématique. François le facteur est un bon garçon, maladroit et victime de mauvaises circonstances, mais dont la bonne volonté et le sens de la débrouillardise finiront par payer. Tati l'acteur est un descendant de Chaplin et Keaton, loin de l'esprit troupier des comiques (Fernandel, Bourvil) du cinéma français de l'époque.

Tati l'auteur célèbre la communauté, le sens du partage et des traditions. Son monde est peuplé de petites vieilles bienveillantes, de gamins farceurs, de bouchers bornés et de Parisiens (et d'Américains) tant décalés que déplacés... Mais nul éloge du repli sur soi et de rejet de l'autre dans cette hymne à la simplicité et la gaîté. En montrant ce faux documentaire projeté à la fête, Tati, loin de témoigner d'un regard réactionnaire sur le progrès, propose plutôt une vision satirique de l'inhumanité et de l'absurdité d'un certain modernisme... Critique qui sera récurrente dans son œuvre, et qui culminera avec Mon oncle et Playtime.

Le style de Tati est unique. Le premier quart d'heure est presque muet, qui voit François rouler en vélo dans la campagne, et être importuné par un insecte. Dans un plan fixe qui montre deux personnages, le premier gag révèle que c'est un paysan qui subit le désagrément, le bruit du bourdonnement ayant induit François en erreur. Tout Tati est là, dans cette finesse de burlesque, cette économie de moyens et ce sens du détail. Ce début pourra pourtant déconcerter par son étrangeté, surtout si on se met à la place du spectateur ou du critique de 1949, l'absence de vedettes et le minimalisme de la narration pouvant laisser penser qu'il s'agit d'une série Z à la Émile Couzinet, inénarrable auteur de Trois marins dans un couvent ou Trois vieilles filles en folie. Il n'en est bien sûr rien et Jour de fête est un véritable bijou, aussi personnel que les films de Cocteau, Bresson ou De Sica réalisés en cette fin des années 40. Un univers de poésie burlesque et réaliste : voilà comment on pourrait caractériser Jour de fête, qui culmine avec une escapade en vélo dont on appréciera, en outre, la virtuosité technique.

Tout un pan du cinéma contemporain n'existerait pas sans l'influence manifeste exercée par Jacques Tati. On pense en particulier à Aki Kaurismäki dont Le Havre et autres films prolongent l'esprit du cinéaste.

Gérard Crespo

 

 


1h16 - France - 1949 - Scénario : Jacques TATI, Henri MARQUET, René WHEELER - Interprétation : Jacques TATI, Guy DECOMBLE, Paul FRANKEUR.

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