Hiroshima mon amour
de Alain Resnais
Sélection officielle
Cannes Classics



Sortie en salle : 17 juillet 2013




L'évidente nécessité de la mémoire

Premier long métrage d'Alain Resnais, Hiroshima mon amour marque le début de sa collaboration avec des scénaristes issus du monde littéraire. Marguerite Duras a écrit le récit de cette actrice française d'une trentaine d'années venue à Hiroshima pour tourner un film sur la paix, et qui a une rencontre amoureuse avec un architecte japonais. C'est l'heure des souvenirs d'une page tragique de l'histoire de l'humanité, mais aussi d'un drame ancien qui ressurgit de la mémoire, quand, pendant la guerre, elle avait aimé un soldat allemand alors que sa ville de Nevers était occupée... Le dialogue est une longue psalmodie, surtout pendant le premier quart d'heure, qui voit les plans d'un couple faire l'amour (« Tu me tues, tu me fais du bien »), alterner avec des images du Mémorial du Souvenir de la ville. « Non, tu n'as rien vu à Hiroshima », déclame à plusieurs reprises l'amant japonais, quand la jeune femme se dit persuadée de connaître toutes les informations sur la ville. La suite du scénario ne semble linéaire qu'au premier abord, puisque l'évocation du passé des deux amants donne droit à plusieurs faux flash-back, les séquences de la tragique passion de Nevers et des représailles à la Libération n'étant accompagnées d'aucun dialogue, mais seulement de la voix off d'Emmanuelle Riva et de la musique de Georges Delerue (impériale). Hiroshima mon amour, c'est l'histoire d'un drame individuel qui se fond avec le drame collectif, et l'une des œuvres les plus fascinantes sur la mémoire et l'introspection mentale, un thème que l'on retrouvera dans la filmographie de Resnais, et particulièrement de L'Année dernière à Marienbad à La Vie est un roman. Le ton du récit tient à la fois de l'intimisme de la Nouvelle Vague (les scènes entre Jean Seberg et Belmondo dans À bout de souffle feront écho aux échanges Okada/Riva), mais aussi à tout un courant du nouveau cinéma de l'époque, et notamment les films d'Antonioni par le traitement de l'incommunicabilité dans le couple. Mais là où la tendance Cahiers de la Nouvelle Vague occultera tout contexte politique (excepté Le Petit soldat et la période Mao de Godard), Resnais n'hésite pas à aborder des sujets majeurs (le péril atomique, les zones d'ombre de la Libération) qui étaient quasiment tabous à l'époque.

Chez Resnais, la forme est indissociable du fond. Le montage très serré ne fait que représenter les tourments du souvenir et les longs travellings sur les rues désertes de Hiroshima traduisent la difficulté de réaliser pleinement l'horreur dont seuls peuvent témoigner les survivants. On retrouve la même approche stylistique que dans Nuit et brouillard, son court métrage sur les camps de concentration, par ce mélange de documents d'archives et de prises de vue contemporaines. Hiroshima mon amour, film majeur dans l'histoire du cinéma, se montre novateur à plus d'un titre. C'est l'une des premières coproductions franco-japonaises (on occultera Typhon sur Nagasaki d'Yves Ciampi, tourné deux ans plus tôt avec Danielle Darrieux et Jean Marais). Le casting y est épuré à l'extrême, se focalisant sur le couple formé par le séduisant Eiji Okada et l'extraordinaire Emmanuelle Riva, jusque-là inconnue à l'écran, et dont la voix de velours et la grâce naturelle ne sont pas pour rien dans la fascination exercée par le film. Nul second rôle ne vient agrémenter le récit en le détournant de ses protagonistes, le personnage de l'amant allemand incarné par Bernard Fresson étant muet et jamais filmé en gros plan. Un an après Les Amants de Louis Malle, on y voit une scène de relation sexuelle mais uniquement suggérée par des plans furtifs de bras et de cheveux, au tout début du film : une composition audacieuse, loin de l'érotisme de pacotille incarné à la même époque par Roger Vadim.

Resnais réussit donc le pari de transformer une traditionnelle histoire d'amour en une réflexion sans concessions sur les traumatismes de la guerre tout en révolutionnant le langage du 7e art. Le film a été présenté à Cannes dans une restauration numérique en 4K par Argos Films (la société de production initiale), les Fondations Technicolor et Groupama Gan et la Cineteca di Bologna. Renato Berta a supervisé la reconstitution de la splendide photo noir et blanc de Sacha Vierny.

Gérard Crespo


 

 


1h31 - France - 1959 - Scénario : Marguerite DURAS - Interprétation : Emmanuelle RIVA, Eijii OKADA, Bernard FRESSON, Stella DASSAS.

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