Le Goût du saké
Sanma no aji
de Yasujirô Ozu
Sélection officielle
Cannes Classics



Sortie en salle : 3 juillet 2013




Pères et filles

Le Goût du saké est le dernier film de Yasujirô Ozu, qui devait décéder quelque temps après. Cette belle œuvre intimiste n'en paraît que davantage testamentaire, au-delà des aspects autobiographiques qui pourraient être décelés. Shuhei Hirayama vit avec sa fille Michiko. L'exemple d'un de ses professeurs, qu'il retrouve lors d'une soirée où l'on boit du saké et qui s'accuse d'avoir provoqué le malheur de sa fille, pousse Hirayama à marier la sienne. Le récit de cet homme vieillissant se résignant à la solitude au nom du bonheur de son enfant reprend les portraits de famille chers à Ozu, notamment depuis Voyage à Tokyo. Le cinéaste est le peintre du temps qui passe, des solidarités intergénérationnelles qui tentent de se poursuivre au-delà des évolutions du monde moderne. Ozu décrit une cellule familiale ancrée dans les traditions mais souhaitant l'épanouissement de chacun de ses membres. L'évocation du monde du travail, avec ses secrétaires dévouées et ses employés de bureau posés, inscrit le film dans le contexte du miracle japonais et d'un microcosme secondaire (l'entreprise), exerçant un même contrôle social. Les « vieilles filles » de vingt-cinq ans y sont stigmatisées et le mariage est l'unique issue pour trouver un sens à la vie et la promesse du bonheur. On pourra trouver ce contexte aussi dépassé que les mœurs décrites par Pagnol dans sa trilogie. Mais Ozu, pas plus que l'auteur de Marius, se refuse de cautionner une morale réactionnaire : au détour d'une séquence de scène de ménage avec mesquines considérations financières, l'auteur se montre même critique, n'étant pas dupe des aliénations que suscite le conformisme social.

Kiju Yoshida a parlé de « contre-cinéma » à propos du style de Ozu. Loin de la lenteur d'un certain cinéma japonais, l'auteur privilégie la rapidité des plans, certains étant repris plusieurs fois. Ce qui n'enlève rien à l'effet contemplatif de l'ensemble, amplifié par une action concentrée en quelques lieux, laissant le temps aux personnages de discuter autour d'un repas convivial. À cet égard, le cinéaste n'a pas son pareil pour filmer les rapports humains en plaçant sa caméra près d'acteurs accroupis dans des intérieurs duquel on ne s'échappe guère, si ce n'est pour découvrir le plan furtif d'un angle de rue nocturne menant à un bar familier où l'on continuera de bavarder... Nul coup de feu, nulle bagarre dans ces ambiances sereines et dignes ; à peine un mouvement de colère vient-il signaler des tensions et frustrations. Il n'est pas surprenant que l'art d'Ozu, qualifié (avec celui de Naruse) de « cinéma à voix basse », ait été tardivement montré au public occidental, tant celui-ci était habitué à un cinéma plastique et lyrique, « cinéma à voix haute » incarné par les auteurs de Rashomon et Conte de la lune vague après la pluie. Moins occidentalisé que Kurosawa, moins esthète que Mizoguchi, mais aussi moins sulfureux que les cinéastes de la Nouvelle vague japonaise (Oshima, Imamura), Ozu est inclassable et Le Goût du saké nous fait ressentir la sensation d'un cinéma de la pureté.

Le Goût du saké a été présenté à Cannes dans une copie restaurée en numérique par Shochiku Co., LTD., le National Film Center et Le Musée d'Art Moderne de Tokyo.

Gérard Crespo


 

 


1h55 - Japon - 1962 - Scénario : Kogo NODA, Yasujirô OZU - Interprétation : Chishu RYU, Shima IWASHITA, Keiji SADA.

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