Tournée
de Mathieu Amalric
Sélection officielle
Prix de la mise en scène - Prix FIPRESCI



Sortie en salle : 30 juin 2010




« Si Le Havre vous aime, la France vous aimera »

De La Chose publique (Quinzaine des réalisateurs 2003) à Tournée, le projecteur que Mathieu Amalric braque sur les déboires privés et le chaos intime s’est déplacé du symptôme au remède, du poison à l’antidote. D’une dérive à l’autre, le cinéaste englouti par son œuvre s’est fait producteur en quête de survie.

Tournée fut la très bonne surprise de début de sélection, non seulement parce qu’après Robin Hood, le film astreignait à un grand écart dont les festivaliers sont particulièrement friands, ensuite parce que le voyage insolite auquel il conviait, le bain de fraîcheur, de mélancolie, de modestie, de (dés)enchantement qu’il proposait lui faisait d’ores et déjà prendre rang de façon évidente dans le palmarès à venir, lequel le gratifia d’un prix de la mise en scène amplement justifié.

Joachim, un producteur en rupture d’attaches et désargenté ramène d’Amérique une troupe de show girls, stripteaseuses s’exhibant dans des numéros de déshabillés comiques, pour une tournée en province – Le Havre, Rochefort, Nantes, Toulon – censée se terminer à Paris.

À la question de l’origine du projet, Mathieu Amalric répond en 3D : Colette et son Envers du music-hall, image des coulisses de théâtres et reflet de la sensibilité du personnage (« Nous courons […] vers l’illusion de vivre très vite, […] de n’emporter avec nous ni regrets, ni remords, ni souvenir. ») ; la fascination pour les producteurs et le désarroi dans lequel le suicide d’Humbert Balsan (cf. Le Père de mes enfants) a plongé l’auteur ; la séduction qu’a exercé sur lui la découverte du New Burlesque américain (né vers 1995 dans la mouvance lesbienne avec la troupe Velvet Hammer), pour l’érotisme, l’humour et la satire sociale qu’il fédérait.

Plantureuses, outrageusement fardées, tatouées, effrontées, drôles, libérées de leur corps et par leur corps, elles s’appellent Mimi le Meaux, Kitten on the Keys, Dirty Martini, Julie Atlas Muz, Evie Lovelle, il s’appelle Rocky Roulette, autant de pseudos qui fleurent bon le Las Vegas des enseignes racoleuses et des musiques gueulardes. Joachim entraîne « ses » femmes à la découverte d’un pays étranger, où les ports d’escale n’ont rien de la carte postale, les hôtels sont banals à pleurer, les scènes et les coulisses respirent la médiocrité. En remplissant cet environnement miteux, en s’y livrant avec générosité et humour, elles en font un monde de fantaisie, de tendresse, de fête. Mathieu Amalric dira qu’elles « portent la politique dans leurs corps ».

Joachim, aussi nerveux que le rythme du film, tendu, colérique voire violent, à l’occasion méchant, couvert de dettes, ressent pour cette nouvelle famille une irrésistible attirance.

Un bug dans le déroulement de la tournée et sa fin programmée à Paris l’oblige à un rapide aller-retour dans la capitale, où l’occasion donnée de revoir ses enfants – particulièrement expressifs du naufrage familial – sera en fait celle de faire une fois encore le constat de son inadaptation pathologique à tout ce qui a trait à la conformité et au conformisme. Avec cette seule envie de rejoindre très vite celles qui l’ont adopté avec son cortège d’insuffisances. Avec en chemin, la brève rencontre – brillantissime scène avec Aurélia Petit – d’une qu’il aurait pu aimer… Et de retour, pouvoir encore se réfugier dans cette mélancolie, celle des oiseaux de nuit et des paumés du petit matin, s’immerger dans le monde nostalgique et fragile du cabaret, dans cet univers féminin fait d’effluves, de confidences, de boas vaporeux, de désinhibition communicative, de faux cils. Film féministe aurait pu titrer Godard face à l’émouvante dérive de l’homme sauvé par ces attachantes mères, sœurs et amantes à la fois.

L’humanisme selon Amalric, c’est, servis par une parfaite maîtrise, la beauté qu’il confère à chaque personnage, le respect qu’il leur porte, l’absence de toute once de voyeurisme ou de vulgarité, c’est, malgré ce désespoir à fleur de peau, le triomphe de la joie de vivre.

Marie-Jo Astic


1h51 - France - Scénario : Mathieu AMALRIC, Philippe DI FOLCO, Marcelo NOVAIS TELES - Interprétation : Mathieu AMALRIC, Anne BENOIT, Antoine GOUY.

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