Outrage
Auroreiji
de Takeshi Kitano
Sélection officielle


Sortie en salle : 24 novembre 2010




Filmer la violence

Dans une lutte impitoyable pour le pouvoir, plusieurs clans yakuza se disputent la bienveillance du Parrain. Les caïds montent dans l'organisation à coups de complots et de fausses allégeances. Otomo, yakuza de longue date, a vu évoluer ses pairs : des tatouages élaborés et des phalanges sectionnées, ils sont passés à la haute finance. Leur combat pour arriver au sommet, ou du moins pour survivre, est sans fin dans un monde corrompu où règnent trahison et vengeance. Un monde où les héros n'existent pas...

Outrage marque le grand retour de Kitano dans le film de yakuza, genre qui le révéla avec des œuvres aussi diverses que Sonatine, Hana-Bi ou Brother. On comprend mal la tiédeur de l'accueil après sa projection cannoise, tant le spectacle jubilatoire est mené de main de maître. Est-ce la profusion de petit doigts coupés et de crânes explosés qui a suscité si peu d'adhésion ? On en doute, tant l'échelle de la violence s'est recomposée ces quinze dernières années, Tarantino, les Coen et bien d'autres ayant sinon banalisé du moins fait intérioriser l'incursion d'actes de barbaries dans la logique du film d'action. Est-ce le (faux) sentiment de déjà-vu, laissant croire que Kitano ne se renouvelle pas ? C'est ne pas voir que le cinéaste ne se contente pas de filmer la violence comme un vulgaire jeu vidéo et que le propre d'un auteur est d'imposer son univers créatif et son style de façon récurrente.

Dans Outrage, rien n'est mesuré ni tempéré et c'est ce qui fait la force du récit : bouffonnerie assumée, absence de manichéisme (tous les personnages sont des méchants), propos incorrect asséné (l'ambassadeur africain impliqué dans les malversations criminelles), profusion de dialogues à tonalité unique : tout le monde se hurle dessus sans arrêt, une séquence montrant même les acteurs qui se coupent la parole dans un rythme semblable au « manzai », ce genre comique structuré comme un spectacle de clowns. En même temps, le regard du cinéaste est plus critique qu'il n'en a l'air, et Kitano est subtil dans cette aptitude à montrer l'individualisation des comportements dans des groupes sociaux pourtant structurants et fortement coercitifs : doit-on y déceler une satire de la société japonaise dans son ensemble ? Soulignons aussi la perfection technique et artistique du film, de la splendide photographie à la partition musicale de Keiichi Suzuki, compositeur de Zatoichi. Enfin, il n'est pas superflu d'ajouter qu'en tant qu'acteur, ''Beat'' Takeshi Kitano est irrésistible dans le rôle de sous-chef de petit clan finissant toujours la sale besogne, le comédien trimballant sa mine pince-sans-rire jusqu'à la dernière bobine. Si la filmographie de Kitano regorge de trésors d'un tout autre registre, tels les délicats L'Été de Kikujiro ou Achille et la tortue, ce retour aux sources procure un plaisir intense tout en révélant une inspiration spontanée et fructueuse.

Gérard Crespo


2h00 - Japon - Scénario : Takeshi KITANO - Interprétation : Takeshi KITANO, Ryo KASE, Kippei SHIINA.

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