Étreintes brisées
Broken Embraces
Los abrazos rotos

de
Pedro Almodóvar
Sélection officielle
palme

Sortie en salle : 20 mai 2009




Le secret magnifique

Pedro Almodóvar signe avec Étreintes brisées une œuvre épurée qui paraîtra (en apparence seulement) moins jubilatoire et « aimable » que d'autres opus. Mais l'univers particulier du maître du cinéma espagnol est ici présent dans ce qui est la synthèse de ses précédents films, tout en constituant la quintessence de son art.

Le film dans le film

Comme dans La Mauvaise éducation, il est question de « film dans le film ». À la suite d'un accident de voiture, le cinéaste Harry Caine, ex-Mateo Blanco (Lluis Homar) est devenu aveugle et ne vit que grâce aux scénarios qu'il écrit en collaboration avec Judit (Blanca Portillo), son ancienne et fidèle directrice de production. Quatorze ans auparavant, il terminait le tournage d'un film médiocre (remonté de façon malveillante et contre son gré), dans lequel il faisait tourner Lena, la femme de sa vie (Penélope Cruz), morte quelques temps après dans l'accident... Les flash-back permettent de reconstituer le puzzle du mélodrame sentimental et de l'échec artistique et public du film, sans les excès de mise en abyme qui cassaient l'émotion dans La Mauvaise éducation. La référence à Voyage en Italie (que Lena et Mateo regardent à la télévision) permet d'annoncer le drame à venir des amants, leur étreinte interrompue par la mort étant fixée à jamais par le photographe espion. Dans Tout sur ma mère, les images récurrentes de All about Eve éclairaient également les sentiments enfouis des protagonistes, dont la jalousie féminine. Et si Almodóvar n'hésite pas à citer implicitement Femmes au bord de la crise de nerfs, c'est moins par nombrilisme que par désir de boucler la boucle thématique et stylistique de son univers.

L'amour à mort

Depuis les années 90, le cinéma d' Almodóvar a pris une teinte plus sombre. Le thème de l'accident, qui débouche sur le handicap (Javier Bardem dans En chair et en os) ou la mort (l'adolescent de Tout sur ma mère), prend ici tout son sens, puisque la fièvre créatrice de Harry ex-Mateo est anéantie, l'ancien réalisateur se contentant de projets mercantiles, à l'instar de l'écrivain incarné par Marisa Paredes dans La Fleur de mon secret. Harry ne retrouvera l'inspiration qu'au prix de la résurrection virtuelle de Lena, au même titre que Scottie cherchait à recréer l'image de Madeleine dans Vertigo de Hitchcock. Jamais le thème de la fusion de la vie, de l'amour et de la mort, n'avait été autant présent. C'est au nom de l'amour de son fils malade et de sa jalousie amoureuse que Judit trahit Mateo et remonte le film, à la demande du vieux producteur lui-même éconduit sur le plan sentimental. C'est pour sauver son père cancéreux que Lena accepte la compromission de sa cohabitation avec Ernesto, et c'est par amour pour Mateo qu'elle accepte la fuite (tragique) à Lanzarote.

Femmes (et familles), je vous aime...

Harry ex-Mateo se reconstitue une famille adoptive, en compagnie de Judit, qui fut brièvement sa maîtresse, et du fils ce cette dernière, Diego, qui l'assiste dans ses tâches administratives et domestiques. Dans ce semblant de famille recomposée, les relations affectives semblent plus sincères et profondes que dans la relation tendue qui unit Ray X, le jeune cinéaste frustré, à son père, autoritaire et homophobe. Comme dans Volver, l'homme n'a pas le beau rôle et s'avère être soit le symbole de lâcheté (Ernesto et son fils), soit l'expression du refus d'assumer un passé douloureux (Harry). Seul Diego semble l'élément masculin positif par son rôle de catalyseur de la reconstitution affective et créative du réalisateur. En dépit de son arrivisme, Lena est le symbole de la femme noble et honnête, à la fois tentatrice et salvatrice, qui a forcément les traits d'une Penélope Cruz désormais ancrée dans l'univers de Pedro. Quant à Judit, elle a la mère almodovarienne par excellence, à qui Blanca Portillo apporte toute sa puissance d'interprétation. Si Truffaut était « l'homme qui aimait les femmes », Almodóvar est celui qui les vénère. Et ce n'est pas pour rien que le cinéaste a confié de brèves apparitions nostalgiques à Angela Molina (la mère de Lena), Rossy de Palma (Julieta), Chus Lampreave (la concierge) ou Lola Dueñas (la lectrice sur les lèvres).


Le secret magnifique

Fils (cinématographique) naturel de Sirk, Pedro Almodóvar n'a jamais caché son intention d'assumer ouvertement le mélodrame, même si Étreintes brisées est davantage en demi-teinte que Talons aiguilles ou Tout sur ma mère. Le thème du secret de famille (au moins deux ici) est en tout cas prétexte à de beaux moments d'émotion pure, plus que de pirouette de scénario. Fausses trahisons ou enfants retrouvés lors de confessions intimes permettent moins le happy end qu'une sérénité provisoire et fragile chez les personnages. D'aucuns regretteront l'absence de figures excentriques (travestis, prostituées bouffonnes, grands-mères pittoresques, junkies défoncés) qui formaient une faune mémorable dans des titres antérieurs, et constituaient parfois un contre-pied à la noirceur ambiante. Étreintes brisées n'en reste pas moins fidèle à l'univers de son auteur, qui trouve ici la perfection dépouillée de Parle avec elle.
Déjà titulaire d'un Grand prix (1999) ou de récompenses pour le scénario et ses interprètes (2006), Almodóvar est cette année reparti bredouille de la compétition cannoise : aveuglement manifeste du Jury ou attitude spécifique l'estimant hors concours ?

Gérard Crespo

Ce dernier film d'Almodóvar est une franche réussite. J'allais le voir confiant, et n'ai pas été déçu. Le scénario est très complexe, immense puzzle mélangé et que l'on reconstitue peu à peu, à la manière de ces photos déchirées, à travers d'immenses flashback qui deviennent le présent de ce film. Penélope Cruz est éblouissante et crève l'écran, brûlante d'intensité. Cette histoire vertigineuse et malsaine évoque De Palma évoquant lui-même Hitchcock, et le film est parsemé de références à ces grands films qui marquèrent les années 60, des comédies sophistiquées d'Audrey Hepburn aux films noirs de Billy Wilder. La partition classique et parfois plus folklorique accompagne le spectateur dans sa beauté, les paysages d'Espagne sont surréalistes, et le film est un immense miroir, une réflexion dense sur l'identité et le cinéma. La scène ou Penélope fait son propre doublage est époustouflante et celle des escaliers terrible. Observer les répercussions de la vie privée sur le travail d'actrice est judicieux également. Almodóvar retrouve dans ce film ses thèmes récurrents : homosexualité, adultère, jalousie, femmes. Ses actrices fétiches sont présentes également. La fin du film apporte son lot de révélations, ou plutôt de confirmations car on pouvait se douter sans problème de quoi il s'agissait. Seul bémol, les quelques lenteurs de la fin du film. Mais celui-ci reste tout de même magistral, maîtrisé et vibrant, et Almodóvar nous montre ses talents de réalisateur et de metteur en scène, par exemple quand il filme une simple photo dans un tiroir, mais aussi ses penchants plus tacites, ainsi que le dévoilent ses nombreux plans - réussis - sur les pieds de ses actrices. Un film magnifique et envoûtant, souvent très émouvant.

Maxime Antoine


2h09 - Espagne - Scénario : Pedro ALMODOVAR - Interprétation : Penélope CRUZ, Blanca PORTILLO, Lluis HOMAR, Lola DUENAS, Angela MOLINA.

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