L'Enfer d'Henri-Georges Clouzot
de Serge Bromberg, Ruxandra Medrea
Cannes Classics
palme

Sortie en salle : 04 Novembre 2009




L'apothéose du mouvement

En 1964, Henri Georges Clouzot choisit Romy Schneider, 26 ans, et Serge Reggiani, 42 ans, pour être les vedettes de L'Enfer. Un projet énigmatique et insolite, un budget illimité, un film qui devait être un "événement" cinématographique à sa sortie. Mais après 3 semaines de tournage, le drame. Le projet est interrompu, et les images que l'on disait "incroyables" ne seront jamais dévoilées. Ces images, oubliées depuis un demi-siècle, ont été retrouvées et elles sont plus époustouflantes que la légende l'avait prédit. Elles racontent un film unique, la folie et la jalousie filmées en caméra subjective, l'histoire d'un tournage maudit et celle d'Henri Georges Clouzot qui avait laissé libre cours à son génie de cinéaste. Jamais Romy n'a été aussi belle et hypnotique. Jamais un auteur n'aura été aussi proche et fusionnel avec le héros qu'il a inventé. Serge Bromberg et Ruxandra Medrea réussissent ici une "recomposition" de l'œuvre disparue, créant un nouveau film qui raconte l'histoire de ce naufrage magnifique et qui permet au projet d'exister enfin.

Sur les traces d'un mystère entêtant, Serge Bromberg signe une enquête passionnante sur le tournage d'un film maudit et dont les allures obsessionnelles vinrent entâcher le cerveau en ébullition de Clouzot, créateur et victime d'une œuvre qui le mènera jusqu'à sa propre folie. Connu pour être l'un des plus grands restaurateurs de films, Bromberg entame une intéressante exploration du pouvoir documentaire : celui-ci est à la fois la mémoire d'un patrimoine partiellement disparu, mais aussi la retraduction littérale d'un film contemporain précédant de nombreuses œuvres artistiques qui virent le jour des années plus tard sans jamais atteindre cette audace et cette puissance.


Il n'est pas vraiment d'autre mise en scène que celle de Clouzot dans cette plongée dans les archives de ce qui aurait pu être une révolution ultime dans le cinéma français. Bromberg ne fait que rassembler les extraits retrouvés d'un film qu'il remonte par pistes et indices, comme dans un thriller ou l'enquêteur tente de savoir ce qui est arrivé à la victime et qui était, au fond, le meurtrier. Le rythme hâletant favorise une construction sur la déchéance puis l'apothéose ; apothéose du mouvement, de la couleur, du son. Et le documentaire de revenir aux racines même de ce projet fou en s'attardant dans ses plus précieux détails. Agrémenté de commentaires au présent d'une équipe technique qui a vu grandir depuis, tout une vague créatrice de cinéma, parfois rejoué par Jacques Gamblin et Bérénice Bejo (choix pertinent) sur fond noir pour retraduire la sonorité des dialogues effacés de la piste sonore originale, l'enquête s'engage dans une délicate remise en scène du film pour en saisir l'essence et l'intention première de Clouzot. L'efficacité du découpage face à ces images abstraites et inédites, font du récit que tisse Bromberg une véritable séance privée d'un film inachevé et égaré.

La mise en image frontale de Clouzot, totalement folle dans sa création d'espaces sonores et visuels, donne à voir une œuvre sombre et totalement hallucinatoire, proche de la véritable démence. On y voit l'art qu'avait Clouzot de saisir un thème par la seule force d'un plan et par le choix d'acteurs dont l'érotisme sauvage semble encore tabou pour notre époque. Voilà ce que propose de retraduire L'Enfer de Bromberg ; il s'accapare avec respect l'œuvre ravagée d'un illuminé dont la beauté réside justement dans le jusqu'au boutisme, et dans la manière dont l'art l'a emporté dans les profondeurs de la création pour ne jamais en ressortir. Un portrait acide, excitant, étonnant.

Jean-Baptiste Doulcet

 


1h42 - France - Documentaire - Interprétation : Bérénice BEJO, Jacques GAMBLIN, Catherine ALLEGRET, Serge REGGIANI, Romy SCHNEIDER.

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