L'Œil sauvage
The Savage Eye
de Ben Maddow, Sidney Meyers, Joseph Strick
Cannes Classics

palme


Sortie en salle : 9 juillet 2008




Film inclassable sorti en 1960 dans deux cinémas à Paris, cet ovni tomba rapidement dans les oubliettes du 7e art avant d'être découvert sur le câble par le producteur Ronald Chammah.
Poème douloureux qui adopte un ton semi-documentaire, il permet de suivre Judith, jeune femme divorcée qui erre dans les rues de Los Angeles, en tentant vainement d'oublier son amour perdu. L'œuvre est signée par trois cinéastes : Ben Maddow, ancienne victime du maccarthysme ; Sidney Meyers, monteur, ainsi que Joseph Strick : ce dernier réalisera en 1971 le passionnant court métrage documentaire Interviews with My Lai Veterans qui obtiendra l'Oscar, et relate les atrocités commises par les soldats américains sur des civils vietnamiens. Ce court est d'ailleurs proposé au spectateur dans le cadre d'une double programmation.
L'Œil sauvage peut se lire d'abord comme un pavé dans la mare de l'american way of life : longtemps traité de façon implicite par le cinéma américain, le thème de la décomposition de la cellule familiale est ici abordé frontalement, et la solitude urbaine du personnage principal annonce les grandes figures féminines des années 70, magnifiées par Cassavetes (avec Gena Rowlands) ou Martin Scorsese (Ellen Burstyn). La faune des prédicateurs guérisseurs donne droit à une admirable séquence dans la lignée du cinéma-vérité de Jean Rouch, tout en touchant l'Amérique là où ça fait mal.

Au-delà cet aspect critique, le film se meut avec bonheur dans la tendance du nouveau cinéma des années 60, préférant l'ellipse et l'éclatement narratif à la linéarité explicative du scénario en béton. Les rêves de Judith, délirant après un grave accident de voiture, anticipent l'onirisme et le filmage de l'inconscient par Alain Resnais dans L'Année dernière à Marienbad ; mais l'on songe surtout à Godard, celui d'À bout de souffle et de Deux ou trois choses que je sais d'elle, dans la maîtrise du style caméra à l'épaule (les scènes sur les trottoirs) et dans la similitude du kaléidoscope pictural et introspectif.
L'originalité esthétique de l'œuvre (Judith ne parle jamais, seule la voix off révèle ses motivations et ses fantasmes) ainsi que sa singularité dans le cinéma américain de l'époque en font une curiosité incontournable.
On pourra tout au plus regretter la trop courte durée de ce film, dont il faut par ailleurs saluer l'amirable photo ainsi que la touchante partition musicale de Leonard Rosenman.

Gérard Crespo


 


1h07 - 1960 - USA - Scénario et dialogues : Ben Maddow, Sidney Meyers, Joseph Strick - Photo : Jack Couffer, Helen Levitt, Haskell Wexler - Décors : - - Musique : Leonard Rosenman - Montage : Ben Maddow, Sidney Meyers, Joseph Strick - Son : Verna Fields - Interprétation : Barbara Bexley, Gary Merrill.

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