Roman de gare
Tracks
de Claude Lelouch
Sélection officielle
Hors compétition

palme



On croyait Claude Lelouch à bout de souffle, au creux de la vague. Après l’échec de sa trilogie avortée (qui se limite aujourd’hui au Courage d’aimer, version remontée des Parisiens), son mode d’emploi des relations hommes-femmes semblait avoir définitivement dépassé la date limite de péremption. Hasard ou coïncidence ? C’est moins dans le genre humain que dans le film de genre que Claude Lelouch retrouve une nouvelle impulsion.
Film d’un cinéaste en quête d’identité sur des écrivains en quête de reconnaissance, Roman de gare  mêle réalité et fiction dans un étrange jeu de correspondances. À bien des égards, en effet, ce Roman de gare est le film de l’imposture. De l’imposture, tout d’abord, puisqu’à ceux qui croyaient que Lelouch n’était plus bon qu’à servir des histoires de roman de gare, le cinéaste prouve qu’il peut nous entraîner vers des terrains où il n’était pas (plus ?) attendu, en l’occurrence le polar hitchcockien tendance road movie. De l’imposture, ensuite, car, à l’image du Bébel de Itinéraire d’un enfant gâté, ce Romain Gary du cinéma se paye le luxe de tourner son film sous un pseudo (Hervé Picard, le nom de son prof de tennis) avant de révéler le pot aux roses à Cannes, là même où il s’était vu décerner, voilà 40 ans, la Palme d’or pour Un homme et une femme. De l’imposture, enfin, car tout dans Roman de gare  n’est que fausses pistes, usurpation d’identité et faux-semblants. Se croisent ainsi une auteure de best-sellers, qui connaît le succès grâce au talent de son nègre ; un homme en cavale qui pourrait tout aussi bien être un criminel évadé, un prof de philo qui a tout plaqué, un auteur en quête de reconnaissance ou encore un mari de substitut ; et enfin une coiffeuse midinette, prostituée à ses heures, qui prétend avoir coiffé Lady Di avant sa mort… Riche melting-pot qui génère forcément son lot de révélations et de rebondissements, parfois poussifs voire tarabiscotés, mais heureusement portés par un suspense efficace et un climat intriguant.


Même s’il s’aventure sur les traces de David Mamet, Lelouch n’en a pas perdu pour autant sa patte : prédilection pour le format scope et les gros plans en longue focale, goût pour les travellings « naturels » que sont ces nombreuses routes traversées en voiture, affection pour les chansons populaires (ici Gilbert Bécaud) et les maximes, le tout traversé d’un profond humanisme. Et ce qui pouvait passer pour des tics d’auteur agaçants s’harmonise désormais en parfaite cohérence. En effet, cadré par les règles du polar et soucieux de tenir son intrigue, Claude Lelouch fait preuve d’une rigueur bienvenue et abandonne ses velléités de « film chorale » à rallonge sans réel fil directeur. Le casting, aussi, n’est pas en reste. On sait que le cinéaste aime les acteurs et il les dirige ici avec soin, semblant laisser (en apparence) moins de place à l’improvisation. À côté d’une Fanny Ardant tantôt blonde, tantôt brune, impeccable dans un rôle de femme fatale à la Kim Novak, Roman de gare nous donne aussi l’occasion d’apprécier le talent d’Audrey Dana, actrice repérée par Lelouch sur le tournage de Nos amis les hommes  que ce dernier avait précédemment produit. Mais c’est surtout Dominique Pinon qui porte le film et suscite l’admiration. Charismatique et énigmatique, il sait traduire toute la complexité d’un personnage en premier lieu insaisissable, se révélant par petites touches. Il est le souffle ardant de ce film à mi-chemin entre Vertigo  et Plein Soleil  qui signe certainement le renouveau de Claude Lelouch.

Nicolas Maille

 


1h43 - France - Scénario et dialogues : Claude Lelouch, Pierre Uytterhoeven - Photo : Gérard De Battista - Décors : François Chauvaud - Musique : Alex Jaffray - Montage : Stéphane Mazalaigue - Son : Harlad Maury - Interprétation : Dominique Pinon, Fanny Ardant, Audrey Dana, Zinedine Soualem, Michèle Bernier, Myriam Boyer.

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