« Pas
si facile de tourner la page… »
On ne la remarque jamais. Elle entre sur scène après le
soliste, reste assise pendant les applaudissements et ne semble participer
en rien à la réussite ou à l’insuccès
d’un concert. La position de la “tourneuse de pages” est
dans le retrait, l’effacement.
Mélanie, la vingtaine à peine amorcée, tourne les
pages d’Ariane Fouchécourt, pianiste talentueuse et reconnue,
mais en proie à une crise de doute et devenant, de concerts en
auditions, de plus en plus “traqueuse”. La confiance qu’Ariane
retrouve auprès de Mélanie va se transformer en un sentiment
ambigu comme l’est l’admiration que porte la jeune fille
pour son aînée. Madame Fouchécourt n’est
pas tout à fait une inconnue pour la jeune fille…
C’est bien la vengeance qui est le carburant du scénario
qu’a écrit Denis Dercourt pour son cinquième long
métrage. Vengeance personnelle, vengeance sociale, vengeance qui
va puiser ses armes redoutables dans la fascination, la manipulation,
l’attirance physique. La tension physique va également s’exprimer à travers
les interprètes du trio n° 2 de Chostakovitch dont Mélanie
va tourner les pages ainsi que le prélude en ré mineur
de Bach que le fils d’Ariane va répéter jusqu’à la
tendinite.
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C’est sans doute là que se situent les
plus grandes qualités du film : Denis Dercourt, lui-même altiste et professeur
de musique de chambre, sait, comme il l’a prouvé dans son
premier long métrage Les Cachetonneurs, ne pas rajouter à la
musique interprétée à l’écran une esthétique
faussement magnifiante. En revanche, il va composer sa narration comme
une partition musicale, avec ses cadences, ses variations de tempo, ses
suspensions et résolutions.
Catherine Frot apporte au personnage d’Ariane les nuances de l’ambiguïté et
les expressions de la fêlure. Quant à Déborah François,
pour sa deuxième apparition après sa prestation remarquable dans L’Enfant des
frères Dardenne, elle montre qu’elle est loin d’être
l’actrice d’un seul film en donnant au personnage de Mélanie
toute la force de sa discrète férocité.
Jean Gouny |