Jindabyne, Australia
Jindabyne
Ray Lawrence
Quinzaine des réalisateurs



jindabyne

Adaptant une nouvelle de Raymond Carver, Ray Lawrence signe avec Jindabyne, Australie un grand beau film d'une exceptionnelle profondeur. Sur le thème du pardon et de la culpabilité, le réalisateur creuse chaque personnage et leurs descentes aux enfers, chaque facette de la nature humaine, de la plus belle à la plus ignoble. Mise en scène incarnée et épurée, atmosphère langoureuse et pesante, dialogues intelligents, scénario splendide et superbe jeu d'acteurs (Laura Linney époustouflante dans ce qui s'annonce comme une des meilleures prestations de l'année - Gabriel Byrne excellent comme d'habitude, et mêmes les plus jeunes acteurs sont criants de vérité). Ray Lawrence signe une œuvre superbe et absurde, large et métaphysique (notamment lors de la scène de funérailles aborigènes, étonnante), trouée de fulgurances poétiques à déchirer le cœur. La beauté du cadre et les paysages vivifiants contribuent à la réussite d'un film presque romantique quant il met en scène un corps dévidé et flottant dans une eau trouble, dont quatre pêcheurs découvrent la présence dans une rivière. À partir de ce point (malheureusement, la scène - pourtant pilier - de décision qui suit et qui montre les protagonistes se demander que faire est beaucoup trop expédiée), les quatres amis, initialement partis en week-end de pêche, déçident de finir leurs deux jours et d'en profiter avant de prévenir la police de leur découverte (un corps aborigène retrouvé dans l'eau). Absurde, la décision prend des ampleurs inattendues chez ces quatres hommes, qui se font alors accuser de racistes (thème plus sous-entendu qu'approfondi, comme s'il n'était que le point de départ à d'autres horizons psychologiques), de traîtres, d'irresponsables ou voire même de profiteurs (le doute plane chez certaines personnes), et dont les couples se déchirent et explosent au final (de façon très crédible).

Filmés avec splendeur, tous les thèmes sont effleurés avec une certaine vitalité et une réelle intelligence. Jamais moralisateur pour autant, ni ennuyeux, ni simpliste dans le traitement de ses personnages, ni trop chargé et encore moins niaiseux dans ses scènes de relations familiales intimes, Jindabyne, Australie évite tous les pièges du mélo-psycho-thriller. Pourtant (et le mystère plane encore), on ne saisit pas une seconde les convictions des deux enfants (dont les actes nous échappent), pour le moins décalées par rapport au reste de l'intrigue, et l'on se demande ce que le cinéaste veut nous transmettre par là même. Mais son film n'en est pas moins une sorte de magnifique fable humaniste, intime, universelle et pessimiste à la fois pleine et dense. Du doute à la rage, de la dégringolade à la chute, de la beauté unique à la laideur bestiale, Jindabyne, Australie expose les extrêmes de l'homme dans sa plus belle inconscience, comme tant de symétries qui se croisent les unes les autres dans un cadre orné par la Nature et porté par la langueur (sans que jamais le film ne perde de sa puissance). Par paliers progressifs intelligemment construits, les personnages se déroulent dans leurs propres méandres obscures, et leurs confèrent une grande crédibilité.Quant à la fin aux milles visages qui laisse au spectateur le goût de la réflexion (qui différera probablement), elle livre une question cruciale qui reste en suspend : qui est la véritable victime lors d'un meurtre ? Et clôt un film marquant, osé et bouleversant sur l'injustice et la bêtise humaine. Une oeuvre belle et forte, dont Lawrence est le poète et l'Australie la muse.Il signe, grâce à un talent certain, l'un des plus beaux films de cette année.

Jean-Baptiste Doulcet

 


2h03 - Scénario : Beatrix Christian adapté de So Much Water So Close to Home de Raymond Carver - Image : David Williamson - Son : Andrew Plain - Montage : Karl Sodersten ASE - Musique : Paul Kelly & Dan Luscombe featuring Soteria Bell - Interprètes : Laura Linney, Gabriel Byrne, Deborra-lee Furness, John Howard.

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