L'Enfant
Jean-Pierre et Luc Dardenne
Sélection officielle
Palme d'or

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Après La Promesse, puis Rosetta et Le Fils, les frères Dardenne confirment leur statut de champions toutes catégories ès fracture sociale. L’Enfant vient donc appuyer encore un peu plus fort là où ça fait très mal.
Nouvelle histoire d’un itinéraire, celui de Bruno, et de la lutte effrénée et anarchique dans laquelle il se débat pour un quotidien misérable, L’Enfant suit en parallèle le chemin malaisé de Sonia, sa compagne, tous deux à peine sortis de l’adolescence et elle tout juste sortie de la clinique avec le nouveau-né qu’elle vient de faire. L’expression « Avoir un enfant sur les bras» n’a sans doute jamais eu autant d’acuité que dans cette scène où Sonia se fait mettre à la porte de chez elle, Bruno ayant sous-loué l’appartement que lui permettaient de louer ses allocations, envolées elles aussi.
Car face à l’engrenage infernal dans lequel il s’est pris au piège, Bruno n’a pas d’état d’âme : tout se vole et tout se vend, d’implacables grilles tarifaires font la loi d'un milieu très organisé. Il hésite peu, lorsque, ayant vraiment besoin d’argent, il cède à la proposition d’“adoption” que lui fait une de ses “relations d’affaires” : il vend Jimmy. Et la caméra filme au plus près toute la tractation, jusqu’à cette scène époustouflante où Bruno dépose sa “marchandise” dans une sorte de no man’s land, une free zone où tout peut s’accomplir.

Là pour quelques instants seulement, le temps semble s’être arrêté sur l’irrémédiable.
Il faudra toute la violence de la réaction de Sonia pour que Bruno commence à mesurer un petit peu la monstruosité de son geste. Initiée par cette interrogation aussi absurde que puérile : « Qu’est-ce que je t’ai fait, on en aurait refait un autre ! », ponctuée par cette assertion aussi douteuse que pathétique : « J’ai changé. Je t’aime. », la seconde partie ne laisse aucun répit à Bruno, s’enferrant dans les mensonges les plus odieux, prêt à tout pour aller jusqu’au bout de son irresponsabilité.
D’où vient alors cette impossibilité où le spectateur se trouve de qualifier ce personnage, plus que de sale gosse ­ état que Bruno dépasse largement ­ de sale type ? Sans doute, pour les petites échappées d’humanité que les frères Dardenne parviennent à imposer dans cet univers noir. Et parce que ce monstre-là est simplement un enfant de vingt ans qui, seul au monde pour s’en être exclu, murmure encore : « J’ai faim. » Comme si quelqu’un allait l’entendre !

Marie-Jo Astic


1h35 - Belgique - Scénario, dialogues : Jean-Pierre et Luc Dardenne - Photo : Alain Marcoen - Décors : Igor Gabriel - Montage : Marie-Hélène Dozo - Interprétation : Jérémie Renier, Déborah Segard, Fabrizio Rongione, Olivier Gourmet.

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