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Agnès Jaoui
Sélection officielle
Prix du scénario
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Continuant à exploiter, avec le talent qu'on leur connaît, la veine des rapports humains et des petites et grandes fêlures de leurs contemporains, Agnès Jaoui — ici en tant que réalisatrice pour la deuxième fois après Le Goût des autres — et Jean-Pierre Bacri placent pour la première fois un personnage d'une génération précédant la leur au centre de cette nouvelle peinture de caractères qui met en scène les relations père / fille, tout en renouant avec l'analyse sur le pouvoir qui fit en son temps le bonheur de Cuisine et dépendances.
Le père, c'est Etienne Cassard, écrivain reconnu, exclusivement préoccupé de son ego et très agacé par une sensation diffuse de perte de vitesse qui rajoute encore à son égoïsme naturel et à son caractère exécrable, dont le spectre est suffisamment large pour agir aussi bien sur ses proches que sur le premier chauffeur de taxi venu… et même dompter très rapidement le plus mal embouché d'entre eux : « C'est à moi que vous parlez là ? » La fille, c'est Lolita, « une colère sur deux pieds » qui a ici largement dépassé l'âge du personnage de Nabokov et — en rupture complète avec les canons de la beauté aujourd'hui en vigueur — symbolise l'inverse complet de la célèbre nymphette et de la fascination qu'elle exerce sur les hommes.
De son père, Lolita aimerait simplement un regard, une attention prêtée à des études de chant dans lesquelles elles s'investit beaucoup, enfin quelque chose… Mais elle n'en a obtenu qu'une belle-mère avec laquelle elle n'a en commun que le très jeune âge, la douce, compréhensive et belle Karine satisfaisant, elle, aux tailles vestimentaires réglementaires. Plus une petite demi-sœur, pour laquelle son père ne semble pas éprouver plus de sentiment que pour le reste de l'humanité, demandant simplement qu'elle soit la moins encombrante possible ou au moins réglable comme un poste de radio : « On peut baisser… la petite ?…»

Dans cet univers de grandes frustrations de Lolita — et des autres —, qui aimerait que l'on s'intéresse à elle pour autre chose que parce qu'elle est la fille de son père, évolue Sylvia, son prof de chant, peut-être enfin quelqu'un qui décèlera en elle d'authentiques qualités : mauvaise pioche… Sylvia est l'épouse de Vincent, écrivain en mal de succès.
Parmi ce petit monde, où chacun cherche sa place, où l'un est fatalement le “schmŸrtzî de l'autre, Sébastien, amoureux sincère de Lolita — qui de son côté semble le considérer comme une ultime pièce de rechange à ses amours malheureuses — observe la dictature du pouvoir : comment chacun la pratique, la tolère, comment elle s'accomplit le plus souvent dans la plus profonde indifférence des autres ; comment se font les compromis et les compromissions, comment on leur trouve toujours une justification quand ils sont de votre fait, comment on les condamne dès lors qu'ils sont le fait des autres. Au cœur de ce jeu de petits massacres entre amis, Sébastien semble être le seul à opposer une certaine forme de résistance.
Amer, plus sombre que de coutume, Comme une image trouve sa fluidité au cours des scènes de chant, dont celle de l'église qui semble enfin fédérer les personnages, qui révèle Lolita dans toute sa beauté, aux yeux de tous sauf toutefois de ceux de celui qu'elle aurait aimé le plus séduire.
Marilou Berry en tête, le casting est totalement irréprochable et l'on regrette que seul le scénario du film ait été récompensé.

Marie-Jo Astic


1h50 - France - Scénario, dialogues : Agnès Jaoui, Jean-Pierre Bacri - Photo : Stéphane Fontaine - Montage : François Gedigier - Interprétation : Marilou Berry, Agnès Jaoui, Laurent Grevill, Jena-Pierre Bacri, Virginie Desarnauts, Keine Bouhiza, Grégoire Ostermann, Serge Riaboukine, Michèle Moretti.

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