Et là-bas, quelle heure est-il ?
What Time Is It Over There? - Ni nei pien chi tien

Tsai Ming-Liang
Sélection Officielle
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Tsiang Ming Liang, un des plus célèbres réalisateurs taiwanais avec Hou Hsiao Hsien (Millenium Mambo) et Edward Yang (Yi-Yi) est de retour en compétition avec un film que lui-même qualifie de comédie, denrée rare au Festival.
Pour qui connaît un tant soit peu ce metteur en scène, cette déclaration a de quoi intriguer. Car ses premiers films, remarqués par la critique (Vive l'amour !, La Rivière) se caractérisaient par un pessimiste prononcé : personnages solitaires, mal dans leur peau, parfois quasiment mutiques. L'environnement n'avait rien non plus de folichon: ville anonyme et tentaculaire, rivière polluée, appartements délabrés. Quant au rythme, il était au mieux nonchalant, au pire asphyxiant de lenteur. Toutefois, on ne pouvait nier que tout cela fusionnait en un univers original et maîtrisé.
Avec The Hole, (parabole sur le déluge et version longue d'un téléfilm de la série "fin du millénaire" pour Arte), déjà présenté à Cannes, le monde désespéré et glauque familier au réalisateur se trouait d'échappées fantasmatiques, chantées et dansées, dans la comédie musicale des années 50 et 60. Qu'allait réserver son prochain film ?
Les premières séquences de Et là-bas quelle heure est-il ? inquiètent et rassurent à la fois. Un deuil (celui du père) est au centre du film(*). La mère est inconsolable dans l'attente de la réincarnation du mari. Le fils, vendeur de rue, tombe amoureux d'une jeune fille qui, pour son malheur, part pour Paris. Les personnages sont toujours aussi seuls,

la parole rare. L'euphorie n'est donc pas de mise. Pourtant, dans le même temps, un souffle plus léger qu'à l'habitude parcourt les scènes.
Et si le film cultive par la suite un goût pour le deuil et l'absence, ainsi qu'un rythme des plus contemplatifs, on se prend au jeu des aventures cocasses du garçon pour rester à l'heure française de sa bien-aimée (il change systématiquement l'heure de toutes les montres, pendules et horloges qu'il croise dans la ville !), des déambulations de la jeune fille dans cette capitale qu'est Paris (filmé comme une énigme pour les étrangers) ou encore des espoirs de la mère de voir son mari réincarné (ne serait-ce que dans un cafard bientôt gobé par le poisson d'aquarium familial !). Surtout que Tsiang Ming Liang filme tout cela en plans séquences fixes virtuoses, cadrés au cordeau.
Bien sûr, on pourra trouver que le film perd en profondeur ce qu'il gagne en légèreté. Ainsi l'apparition de Jean-Pierre Léaud et la référence, via Les 400 Coups de Truffaut, à la Nouvelle Vague française font clin d'œil plutôt que nécessité.
Un bon film donc qui marque une évolution pour son auteur, à défaut d'un vrai choc. Mais ne pourrait-on pas en dire autant de beaucoup d'œuvres présentées à Cannes cette année ?

Pierre Soubeyras

(*) un de plus parmi ceux pr³sents dans de nombreux films cannois cette ann³e.


1h56 - Taïwan - Scénario et dialogues : Tsai Ming-Liang, Yang Pi-Ying - Images : Benoît Delhomme - Montage :chen Sheng-Chang - Décors : Yip Kam Tim - Interprètes : Chen Shiang-Chyi, Lee Kang-Sheng, Lu Yi-Ching, Miao Tien, Cecilia Yip, Jean-Pierre Léaud.

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