Le Pornographe
Bertrand Bonello
Semaine Internationale de la Critique
Prix de la critique internationale (Fipresci)
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Voici un film dont on sort en se disant qu'il serait peut-être bien peu de chose sans Léaud. Et puis… Et puis, involontairement son discours revient en force et vous revient en tête.
Confronté à des difficultés financières, Jacques Laurent doit se remettre au travail, c'est-à-dire à réaliser des films pornographiques, profession qu'il a exercée avec succès de 1969 à 1884 mais qui lui a valu une vie pas souvent facile : nombreux déménagements, suicide de sa première femme, fugue de son fils Joseph. Jeanne, sa seconde femme, assume de toutes ses forces, matériellement et psychologiquement, un passé lourd et un présent désenchanté. Le film semble même lui être dédié en forme de respect.
Un respect et une dignité que la profession de Jacques lui a définitivement interdits, mais qui hantent inconsciemment sa quête. Peu loquace, replié sur son échec, réfractaire à l'image qu'il renvoie, il finira par accepter l'interview d'une journaliste et par parler : " Si je n'étais pas venu parler à quelqu'un, je me serais certainement jeté par la fenêtre. " Cette conversation contient peu de questions, mais une longue réponse, dont on aimerait pouvoir retranscrire l'intégralité. Elle n'est jamais une recherche de légitimité, ni un aveu de honte. Simplement explicative, elle devient
vitale : " Le porno, juste après 68, c'était un acte politique ", " Je continue à filmer des gens qui baisent parce que je sais comment le faire, parce que c'est un métier, que vous le croyez ou non ", " Je ne sais absolument pas ce que je vous ai raconté et ça m'est absolument égal. Je ne vous remercie pas. Je m'en fous. "

Jacques Laurent laisse parler sa douleur, mais reste lumineux.
Entre temps, il a dû tourner un scénario, collé à un mur à l'aide de quelques "post-it" : bleus pour les préliminaires, roses pour les scènes de cul. Il a essayé de gommer dans le jeu de l'actrice tout ce qui fait le genre du porno, lui a demandé de ne pas crier et de faire en sorte qu'on ne voit pas l'éjaculation de son partenaire : " Tenez vous droite, baissez la voix, soyez plus humble. " Il a eu du mal à supporter le spectacle, s'est trouvé dans l'incapacité de diriger jusqu'à ce que son assistant prenne le relais et énumère les instructions coutumières : " gros pan, fellation, éjaculation… " Il aurait voulu que ce soit différent, qu'il y ait du sentiment, comme dans ce film, L'Animal, dont il a imaginé les scènes de chasse à courre et qu'il ne tournera jamais.
Autour de lui, il fallait des acteurs forts : Jérémie Rénier et Dominique Blanc, à travers leurs rôles respectifs, ils nous livrent les univers du fils et de la femme, enchaînés à celui de Jacques, mais infiniment attachants pour eux-mêmes. Il enregistre, pas forcément de bon gré, le pardon du premier, et s'entête à s'effacer de la vie de la seconde. Il part à la rencontre de sa dignité, qui, pour lui, passe nécessairement par la construction, de ses mains, d'une maison.

Marie-José Astic


1h48 - France/Canada - Scénario : Bertrand Bonello - Photo : Josée Deshaies - Son : François Morel - Décor : Romain Denis - Montage : Fabrice Rouaud - Interprètes : Jean-Pierre Léaud, Jérémie Renier, Dominique Blanc, Catherine Mouchet, Thibault de Montalembert, André Marcon, Alice Houri, Thomas Blanchard, Guillaume Verdier.

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