Eloge de l'amour
In Praise of Love
Jean-Luc Godard
Sélection Officielle
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« Nous sommes tous des farceurs, nous survivons à nos problèmes. »
Cioran
 

« C’est quand les choses s’arrêtent qu’elles prennent sens… »

Quand la projection du dernier opus de Godard s’arrête, on aimerait voir se vérifier cet aphorisme lancé par Bruno Putzulu ! Et c’est bien en sortant de la salle que tout commence : réflexions, décantations, réactions contradictoires… à l’image des différents médias passant du plus imbécile et vulgaire irrespect des habitués des talk-shows télévisuels à l’aveugle et sotte adulation des prétendants à l’intelligentsia pas forcément parisienne ! …loge de l’amour n’est certes pas plus facile à regarder au milieu d’une programmation cannoise, qu’écouter In memoriam de Schnittke ou Domaines de Boulez aux Nuits musicales du Suquet… Reste à identifier et reconnaître notre plaisir ou notre agacement pendant la "performance", comme disent les anglo-saxons. Là encore, difficile de n’être pas partagé.
Eloge de l’amour est bien entendu truffé de fausses pistes larguées par le réalisateur de Pierrot le fou. À commencer par le titre qui nous pousse à croire que le personnage principal (interprété par un Bruno Putzulu presque bressonnien) s’enquiert de décrire les quatre âges de l’amour. Effeuillant un livre blanc (pas encore écrit ou déjà oublié ?), rêvant de composer une cantate pour Simone Weil, déambulant dans un Paris du présent (filmé en noir et blanc) mais qui réfère constamment au passé, il semble surtout intéressé par la question de l’âge adulte, dont l’existence paraît indistincte, vaguement coincée entre la fraîche jeunesse et la vieillesse franche.
Ne dit-on pas d’une personne entrant dans une pièce que c’est un jeune ou un vieux, mais rarement que c’est un adulte…

Le plaisir est manifeste à s’interroger avec ce Godard de philosophe sur ces "inéquations" universelles interpellantes, comme celle des "états-uniens" sans nom…
Mais l’agacement est aigu quand JLG appose sur des images complexes et multidimensionnelles dont il a le secret, des discours pontifiants, naïvement primaires et manichéens sur le cinéma américain (celui de Spielberg en particulier), se perdant même dans des explications dispensables et erronées (O.K. ne vient pas de "zero killed" comme il le fait dire, mais d’une banale déformation de "All correct").
Le plaisir sera plus prégnant dans la seconde partie, dont la forme tranche radicalement avec la première. En bon iconoclaste du langage filmique, Godard ne peut évoquer le passé que par un flash-back en couleurs, aux teintes saturées, images vidéo fauves particulièrement réussies. Intercalant ses "histoires" avec le cinéma dans la grande Histoire, il joue avec les textes et les mots à l’écran, s’amuse à "boucher" le cadre, découpe, triture, colmate ou calfeutre la bande-son. Mais au-delà des richesses du discours et du filmage (pas toujours faciles ou agréables à distinguer…), c’est finalement d’une séquence à la simplicité savante que naît la plus saisissante émotion. Françoise Verny, éclairée par une simple lampe de chevet, la lèvre pendante et à bout de souffle, filmée au plus près de ses cicatrices avec le mépris des convenances, interprète une ancienne résistante qui témoigne. Combattante, femme et amante, elle transmet avec passions la mémoire d’une bataille aussi personnelle qu’universelle, un éloge de l’amour et de la vie, un éloge vibrant.

Jean Gouny


1h38 - Suisse - Scénario et dialogues : Jean-Luc Godard - Images : Christophe Pollock, Julien Hirsch - Interprètes : Bruno Putzulu, Cécile Camp, Jean Davy, Françoise Verny.

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